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les conseillers d’un roi de douze ans, premier mari de Cléopâtre, qui épousa successivement ses deux frères, et qui était alors en guerre avec son jeune époux, toutes circonstances, par parenthèse, assez différentes de la tragédie de Corneille. Il n’y a donc aucun fondement historique à cette dénomination de colonne de Pompée qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Salt, le premier, a copié l’inscription grecque gravée sur la base de la colonne, et qui contient une dédicace à Dioclétien. M. de Châteaubriand, qui rapportait en France toute la poésie de l’Orient dans son Itinéraire, y trouva une place pour l’inscription d’Alexandrie. Il n’est pas difficile de rendre compte de cette dédicace à Dioclétien ; il était vainqueur, il avait pris Alexandrie d’assaut ; son triomphe fut d’abord cruel, mais le triomphe n’a pas besoin d’être humain pour obtenir des hommages. D’ailleurs, un signe céleste avait obtenu grace pour la ville incendiée en partie. Les bienfaits suivirent de près les rigueurs ; Dioclétien fit distribuer du grain à la population grecque d’Alexandrie ; de plus, nous savons qu’il introduisit dans l’administration de l’Égypte plusieurs dispositions utiles. L’inscription célèbre le très saint empereur Dioclétien, et lui donne un titre qui signifie à la fois possesseur et bon génie d’Alexandrie, ce qui montre qu’elle a été gravée après le siège ; elle est donc un monument à la fois de la soumission et de la reconnaissance des Alexandrins. Mais la dédicace à Dioclétien ne tranche point la question de l’origine et de la destination primitive du monument. La colonne dite de Phocas, à Rome, est certainement plus ancienne que Phocas, à qui elle fut dédiée. Il peut en être de même de la colonne d’Alexandrie. Tous les voyageurs sont unanimes pour reconnaître le fût comme antérieur à la base et au chapiteau. La colonne aurait donc été élevée ou relevée sous Dioclétien, mais son origine remonterait plus haut. Cette origine a quelque importance, car il ne s’agit pas d’une colonne ordinaire, mais d’un monolithe qui surpasse de beaucoup en grandeur tous les monolithes connus, sauf la colonne de Saint-Isaac à Pétersbourg. Pour moi, au pied de ce débris unique et grandiose de l’architecture alexandrine, en attachant sur elle mes regards pleins d’étonnement et de curiosité, je m’écriai, comme Byron au forum romain « Et toi, colonne sans nom, qui es-tu ? »

Je vais tenter de répondre à cette question que je me suis adressée.

D’abord la colonne de Pompée n’est pas de Pompée, ainsi que je l’ai dit. Une dénomination que lui ont donnée les Arabes, la colonne des piliers (sevari, pris pour Severi), l’a fait, sans autre motif que cette confusion, attribuer à Sévère ; une inscription reconnue apocryphe l’a fait attribuer à Alexandre. Ces fausses origines écartées, quelle est la véritable ? Cette origine n’est pas égyptienne ; la forme, les proportions du monument, ne le sont point. Jamais les Égyptiens n’ont élevé de colonne isolée. Cette origine est-elle grecque ou romaine ? Voilà la question.