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mais dont ils aimaient l’aspect sévère, les Romains employèrent rarement les obélisques en les plaçant, comme les Égyptiens, au nombre de deux devant un monument. Les obélisques isolés et projetant sur le ciel leur sommet quadrangulaire sont pour ainsi dire autre chose que les obélisques égyptiens collés devant les portes des temples. Il est curieux de voir comment l’obélisque a changé d’emploi. Les Romains, qui marquaient tous leurs monumens du sceau de l’utilité, voulurent rendre utile l’ornement symbolique qu’ils empruntaient à l’architecture égyptienne sans le comprendre. Des deux premiers obélisques transportés à Rome sous Auguste, l’un, placé dans le Champ-de-Mars, servit de gnomon[1], l’autre reçut une destination pour laquelle les obélisques semblaient faits en servant de borne (meta) dans le circus maximus, borne gigantesque bien digne de ce cirque immense ; cet exemple fut suivi dans le cirque de Néron au Vatican, dans le cirque même d’Alexandrie, dans l’hippodrome de Constantinople, et donné de nouveau par Constance dans le grand cirque de Rome[2].

Cependant les Romains eux-mêmes placèrent quelquefois par imitation deux obélisques devant un monument, par exemple devant le mausolée d’Auguste ; ils poussèrent même cette imitation jusqu’à ériger devant le temple d’Isis-Sérapis, qu’a remplacé l’église de la Minerve, deux obélisques, bien qu’un peu inégaux et assez différens d’époques, l’un du temps de Sésostris et l’autre du temps d’Apriès. Dans ce cas, les prêtres égyptiens qui desservaient le temple reproduisirent probablement la disposition égyptienne, pour conserver un symbole dont ils avaient le secret ; mais en général les Romains la négligèrent, parce qu’elle ne leur disait rien, et firent de l’obélisque une pure décoration, comme le prouvent ceux qu’on a trouvés isolés, et entre autres celui qui ornait les jardins de Salluste.

Enfin les papes, auxquels il était permis de ne pas être des continuateurs très fidèles des traditions de l’Égypte, mais qui ont si bien compris comment on pouvait ajouter par des monumens à la majesté de Rome une nouvelle majesté, les papes ont tiré un merveilleux parti de ces superbes monolithes pour l’embellissement des places publiques. Il suffit de rappeler celui qui se dresse au Quirinal entre les statues de Castor et de Pollux et celui qui s’élève entre les deux fontaines de Saint-Pierre. Paris est, je crois, avec Rome, la seule ville qui ait orné une

  1. Quoi qu’on ait dit, les obélisques n’étaient point en Égypte destinés à cet usage. Si l’on eût voulu déterminer les solstices et les équinoxes par la mesure de leur ombre, comme l’ont pensé Stuart et Bruce, on les eût isolés dans un espace libre et non placés côte à côte au pied d’un mur de temple ou de palais.
  2. A Constantinople, il y avait deux obélisques dans le cirque, comme dans le circus maximus à Rome. Un seul est encore debout sur la place de l’Atmeidan.