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Dans l’écriture hiéroglyphique, l’obélisque est un signe qui a un sens déterminé. Il exprime l’idée de stabilité[1]. On s’explique facilement cette valeur écrite de l’obélisque. Dans toutes les langues, une métaphore naturelle attribue l’idée de stabilité à la colonne, au pilier. Ainsi la borne de nos champs, qui fut le dieu Terme, exprime l’idée d’immutabilité. De plus, il faut remarquer que le sommet des obélisques se terminait toujours en forme de pyramide ; c’est ce qu’on appelle le pyramidion. Un obélisque est une pyramide dont la base est très allongée ; or, la pyramide, par sa forme, qui offre plus qu’aucune autre des conditions de solidité, la pyramide était l’expression naturelle de la permanence et de la durée. C’est pour cela sans doute qu’on donna une structure pyramidale aux gigantesques tombes des anciens rois. Ce que l’on voulait exprimer et pour ainsi dire écrire par ces masses de pierre, c’était cette idée : solidité, durée, éternité. Les obélisques étaient aussi comme les pyramides, dont ils rappelaient la forme, le signe de la stabilité, et c’est pour cette raison qu’on les plaçait en avant du seuil des temples, pour figurer les montans de la porte[2] et indiquer qu’ils étaient stables à jamais. Les inscriptions hiéroglyphiques gravées sur les montans eux-mêmes continuent en général une formule placée dans la bouche des dieux, et qui se termine par la promesse de la stabilité à jamais. Ainsi l’étude comparée des hiéroglyphes et des monumens nous montre que l’architecture aussi bien que la peinture était une écriture véritable, une écriture en relief, une écriture colossale. Les deux obélisques plantés devant les temples étaient deux énormes hiéroglyphes, deux lettres ou plutôt deux syllabes de granit, deux mots enfin placés là non-seulement pour être contemplés, mais pour être lus.

Si les obélisques dressés devant le temple de César exprimaient une pensée égyptienne, il en était ainsi du temple lui-même. Le culte d’un homme, les honneurs divins rendus à un souverain, nouveaux encore à Rome, ne l’étaient point en Égypte. Les inscriptions hiéroglyphiques ont fait connaître des prêtres consacrés au culte de Ménès et des anciens rois qui ont élevé les pyramides. Cet usage s’était conservé sous les rois grecs ; nous savons qu’il y avait un prêtre des Plolémées et des prêtresses de Bérénice et d’Arsinoé. On peut donc dire que l’apothéose romaine commença sur la terre d’Égypte, et, transmise des Pharaons et des Ptolémées à César, passa par lui aux empereurs avec son nom.

Les Romains, qui enlevèrent à l’Égypte les obélisques pour décorer la ville éternelle de ce signe de l’éternité dont ils ignoraient le sens,

  1. Il représente men (stable) dans Petemenoph, nom propre.
  2. Je suis porté à croire que les colonnes, le plus souvent terminées en pointe comme des obélisques, selon la parole du scholiaste d’Aristophane, qu’on plaçait devant la porte des maisons, avaient le même sens que les obélisques géminés de l’Égypte, dont elles étaient peut-être une imitation.