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ses oracles que vaincu dans une lutte laborieuse après avoir étonné par des apparences bizarres, ce mythe me paraît avoir été chez les Grecs comme le premier écho de la renommée que dès-lors répandait au loin la sagesse égyptienne enveloppée de symboles étranges. Je dirai bientôt ce que je pense de cette sagesse tant vantée ; mais, quelle qu’elle fût, elle a gardé son secret jusqu’à nous. Aujourd’hui seulement nous pouvons espérer d’entendre sa voix, aujourd’hui qu’elle a commencé à rendre ses oracles, aujourd’hui que, par de si puissans et de si persévérans efforts, Champollion a enchaîné Protée.

Un phare moderne s’élève sur le rocher de Pharos, qui a donné son nom à tous les phares. Un tel édifice ne pouvait dater que de l’époque grecque. L’Égypte, ennemie des étrangers, se plaisait à les voir repoussés par les bas-fonds et les écueils de ses rivages, et n’eût rien fait pour leur en faciliter l’accès ; mais, dès que les Grecs ont posé le pied sur le rivage d’Égypte, elle éleva dans les airs cette lumière, symbole de l’éclat qu’Alexandrie allait répandre sur le monde. Le phare fut construit par ordre du second des Ptolémées, l’ami des lettres et des arts. On sait que l’architecte Sostrate s’était assuré, par une supercherie ingénieuse et légitime, l’immortalité qu’il méritait ; on sait comment il avait tracé sur l’enduit fragile du monument l’inscription officielle en l’honneur du roi, et sur la pierre durable une inscription en son propre honneur ; inscription qui, dès le temps de Strabon, était seule visible, et qui, ainsi que l’a très bien montré M. Letronne, n’aurait pu être telle que l’ont vue Strabon et Lucien, si elle n’avait pas eu l’origine qu’ils lui ont donnée. Déjà au IVe siècle la légende, qui commençait à se former autour du nom de Cléopâtre, attribuait à cette reine la fondation d’un monument plus utile que les magnificences insensées dans lesquelles elle épuisait ses trésors pour amuser Antoine, d’un monument sans lequel la grande richesse et par suite la grande importance d’Alexandrie n’eussent pas été possibles.

Les dimensions du phare ont été exagérées par les anciens et surtout par les Arabes. On lui a donné une base et une hauteur qui surpasserait celle de la grande pyramide. M. Letronne a fait bonne justice de ces exagérations, et a ramené la hauteur du phare d’Alexandrie à peu près à celle de la tour de Cordouan[1]. Pourtant ce qui reste certain, d’après toutes les descriptions et tous les récits, c’est qu’il ne faut pas se représenter le phare d’Alexandrie comme une tour ordinaire, mais comme un édifice de forme pyramidale à plusieurs étages rentrans dont chacun était entouré par une galerie extérieure, tel que la pyramide de Meidoun et les pyramides mexicaines, tel que le phare romain de Boulogne qui

  1. Environ cent cinquante pieds. Traduction de Strabon, t. V, p. 329 ; note. Saint-Genis donne à la tour de Cordouan plus de cent soixante-quinze pieds.