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mythologie et des arts de la Grèce ? Toutes ces grandes questions ne peuvent être résolues, si l’on ne connaît à fond l’Égypte elle-même.

Or, ce n’est pas dans les témoignages souvent suspects des anciens, ou dans les systèmes presque toujours trompeurs des modernes, qu’il faut la chercher. Il faut demander l’Égypte à ses propres monumens avant d’étudier ses rapports avec Babylone, Jérusalem, Argos ; il faut l’observer chez elle, dans les deux expressions vivantes qu’elle a laissées, les tableaux qui aident à comprendre les hiéroglyphes, et les hiéroglyphes qui achèvent de faire comprendre les tableaux.

Tout cet ordre de recherches a été le but principal de mes explorations, mais n’a pas été leur but unique. Il n’y a pas seulement des hiéroglyphes en Égypte ; ce pays offre des sujets d’observation et de méditation que ne peut entièrement négliger un voyageur, quel qu’il soit, s’il a des yeux pour voir, une mémoire pour se souvenir, et un peu d’imagination pour rêver. Qui pourrait être indifférent aux tableaux de cette étrange nature des bords du Nil, au spectacle de ce pays-fleuve auquel ne ressemble nul autre pays ? Qui ne serait ému en présence de ce peuple qui fit de si grandes choses et qui est réduit à une si extrême misère ? Qui visiterait Alexandrie, le Caire, les pyramides, Héliopolis, Thèbes, sans être assailli des plus imposans souvenirs et des plus variés ? Y a-t-il dans le monde un pays plus à part des autres pays et plus mêlé à leur histoire ? La Bible, Homère, la philosophie, les sciences, la Grèce, Rome, le christianisme, les hérésies, les moines, l’islamisme, les croisades, la révolution française, presque tout ce qu’il y a eu de grand dans le monde se rencontre sur le chemin de celui qui traverse cette contrée mémorable. Abraham, Sésostris, Moïse, Hélène, Agésilas, Alexandre, Pompée, César, Cléopâtre, Aristarque, Plotin, Pacome, Origène, Athanase, Saladin, saint Louis, Napoléon, quels noms ! quels contrastes ! La Grèce et l’Italie en présentent moins peut-être et de moins frappans. L’Égypte, qui éveille tous les grands souvenirs du passé, intéresse encore dans le présent et dans l’avenir : dans le présent, par l’agonie de son douloureux enfantement ; dans l’avenir, par les destinées que l’Europe lui prépare quand elle l’aura prise, ce qui ne peut tarder. Pays fait pour occuper éternellement le monde, l’Égypte apparaît à l’origine des traditions de la Judée et de la Grèce. Moïse en sort, Platon y court. Elle attire la pensée et le tombeau d’Alexandre, la piété de saint Louis et la fortune de Bonaparte. Et aujourd’hui, pendant que j’écris ces lignes, l’objet de l’empressement un peu exagéré de Paris et de Londres, c’est le fils de Méhémet-Ali.

Tel est le pays à travers lequel je demande au lecteur de me suivre, offrant d’être pour lui un cicérone peut-être assez bien renseigné par l’étude et l’observation. En lui communiquant jour par jour mes impressions personnelles dans toute leur spontanéité, je m’efforcerai toujours