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s’épargnant la peine de les examiner ; ce public qui croit aux Osages, quand ils viennent de Saint-Malo, mais qui ne croit pas aux Chinois, quand ils viennent de Pékin, qui est fermement convaincu de l’existence de Pharamond, et n’est pas bien sûr que le latin et l’allemand puissent être de la même famille que le sanscrit ; ce public gobe-mouche quand il faut douter, esprit fort quand il faut croire, hochait et hoche encore la tête au nom de Champollion, trouvant plus commode et plus court de nier sa découverte que d’ouvrir sa grammaire.

J’étais assez disposé à m’en rapporter aux timides négations des doctes et aux doutes assurés des ignorans, quand un bon génie me fit rencontrer cette admirable grammaire. A ma grande surprise, je vis un système de lecture et d’interprétation justifié par de nombreux exemples. De la multitude de ces exemples résulta pour moi et, je ne crains pas de le dire, résultera pour tout esprit droit et sans prévention, la conviction que le secret de l’écriture hiéroglyphique n’est plus à trouver, que la lecture de la plupart des mots écrits en hiéroglyphes est certaine, que le sens d’un assez grand nombre de ces mots est découvert, que les règles essentielles de la grammaire hiéroglyphique, analogues dans leur ensemble aux règles de la grammaire cophte, sont connues ; qu’à l’aide de ces mots dont le sens a été découvert, et de cette grammaire dont les règles sont connues, on peut lire, sinon tous les textes, sinon des textes très étendus, nul ne l’a fait jusqu’ici d’une manière satisfaisante, on peut lire, dis-je, des phrases, plusieurs phrases de suite, avec une entière certitude. Voilà où en est la science ; elle n’est ni en-deçà ni au-delà.

Cette affirmation ne sera, je m’assure, démentie par aucun de ceux qui se sont occupés sérieusement et sans idée préconçue des travaux de Champollion ; elle ne le sera en France ni par M. Lenormant, le digne compagnon de Champollion, dont il lui appartiendrait mieux qu’à personne de continuer l’œuvre parmi nous, ni par M. de Saulcy, dont les recherches sur le démotique ont fondé une nouvelle ère dans les études égyptiennes, et qui, dans cette Revue, a rendu un si éclatant hommage à la découverte de Champollion, ni par la sévère critique de M. Lettonne, ni par la vaste érudition de M. Raoul Rochelle. Elle ne le sera en Angleterre ni par M. Wilkinson ni par M. Birch ; elle ne le sera en Italie ni par M. Barucchi à Turin, ni par M. Migliarini à Florence, ni par le père Ungarelli[1] à Rome ; elle ne le sera pas en Allemagne par M. Lepsius, qui vient d’éprouver la méthode de Champollion par trois années d’études au milieu des monumens de l’Égypte ; elle ne le sera pas en Amérique par M. Gliddon, qui a passionné pour elle le public peu enthousiaste des États-Unis. Dans la mesure que j’ai indiquée, la lecture

  1. J’apprends avec douleur la mort de l’excellent et savant barnabite.