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comme deux colombes blanches, se sont affaissées en expirant ; et le peuple fuyait semblable à une mer chassée de ses bords ; et il m’a semblé que déjà on était au matin. — Le soleil n’est point encore levé, ce sont seulement les lueurs de l’aurore qui éclairent cet amas de débris aussi grand, aussi immense maintenant que l’était naguère la basilique de Saint-Pierre.

L’homme vêtu de pourpre monta au sommet de cette gigantesque montagne de ruines, et il m’a semblé que je le suivais, porté par une force d’esprit.

Et quand il fut arrivé au sommet, il s’assit comme sur un trône et regarda le monde. Et à l’instant ses vêtemens de pourpre tombèrent à ses pieds, et ce fut une figure blanche que j’aperçus éclairée par une lumière d’un doux et merveilleux éclat. Un livre était entre ses mains ; baissant la tête vers les pages, il se mit à lire.

Et son visage rayonnait d’une paix profonde, d’un ineffable amour.

Dans ce moment se levait le soleil, et m’approchant je lui dis : « Seigneur, est-il vrai que hier, pour la dernière fois, le Christ est né dans cette église qui maintenant n’existe plus ?

Et la figure, ne levant point les yeux de dessus le livre, me répondit avec un ineffable sourire : « A partir de ce moment, le Christ ne naîtra ni ne mourra plus sur la terre, car de ce moment déjà il est sur la terre pour l’éternité. »

Ce qu’ayant entendu, j’ai dépouillé toute crainte et j’ai demandé : « Seigneur, et ceux que j’ai amenés hier resteront-ils pour toujours sous les décombres ? sont-ils donc tous morts et ensevelis avec le vieillard ? »

Et le saint, tout éclatant de blancheur, m’a répondu : « Ne crains pas pour eux ; le Seigneur les récompensera pour le dernier service qu’ils ont rendu à ce vieillard, car ceux qui se lèvent comme ceux qui se couchent, ceux qui sont morts comme ceux qui vivent sont tous les enfans du Seigneur ; pour eux, ils seront plus heureux encore, et avec eux les fils de leurs fils. » - Et quand j’eus compris, ma joie fut grande, et mon esprit se réveilla.


Les deux poèmes qu’on vient de lire suffiront pour faire comprendre le rôle que remplit aujourd’hui la poésie en Pologne. Il y a entre nos écrivains et les écrivains polonais la même différence qu’entre la situation politique des deux pays. Depuis 93, les questions sociales sont à peu près tranchées en France. Chez les Slaves, les mêmes questions n’ont pu être encore résolues. La Pologne a étudié et n’a accepté comme vraie aucune des théories politiques adoptées et pratiquées par les autres nations européennes. Après les avoir examinées au point de vue de son intérêt, de ses croyances, elle les a rejetées comme impraticables ou répugnant à son esprit. Aussi est-ce vainement que des Polonais ont tenté de populariser parmi leurs compatriotes les idées de la France et d’autres pays. On sait la part que l’émigration a prise à diverses illusions socialistes : elle aussi a eu ses constitutionnels, ses républicains, ses saint-simoniens et ses fouriéristes. Elle a fondé et entretenu une vingtaine de journaux. Cette inquiétude a eu pour résultat de pousser en Pologne, vers 1833, des hommes persuadés que les idées qui les avaient remués devaient agir profondément sur les ames. Ce fut une erreur : leur dévouement resta stérile ; plusieurs périrent fusillés, d’autres languissent encore dans les forteresses autrichiennes du Spielberg