Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’espace ; tout fut calme ; le chant cessa dans les chapelles, et, du côté du Vatican, on entendit le son des trompettes : c’est le signal de l’arrivée du pape.

Par le centre de l’église défilent les moines de Rome ; puis viennent des vieillards, marchant les uns après les autres, suivis par d’autres vieillards, tous vêtus de soutanes blanches ; arrivent aussi les pénitens avec leurs robes grises, tenant en main leurs crucifix, puis les évêques la mitre en tête et traînant leurs crosses d’argent, puis les cardinaux aux robes rouges éclatantes ; autour d’eux, les prêtres revêtus de dalmatiques, et des troupes d’enfans vêtus de blanc, portant le vin, l’encens et les couronnes.

Et lorsque ce torrent se fut écoulé du côté du maître-autel, la foule qui s’était divisée et qui, de chaque côté, ressemblait à deux murailles vivantes, cette foule s’agenouilla tout à coup. Alors parut, marchant à pas lents, un vieillard à tête blanche, portant la triple couronne ; sur sa robe dorée descendait l’étole blanche.

Loin derrière lui sont restés les soldats, les serviteurs, et le trône porté par les prêtres ; lui seul se tenait debout au milieu de ce peuple prosterné dans l’église ; seul il s’avançait vers le grand-autel, et il m’a semblé que chacun de ses pas était si lent, si lent, que jamais il n’arriverait jusqu’à nous.

Et quand il s’avançait ainsi au milieu de tout le monde, le front prosterné à terre, ses yeux se fermaient de temps à autre, comme s’ils eussent été éblouis par une aussi grande lumière. Par momens, il faisait sur tout ce peuple, et d’une main tremblante, des signes inachevés de bénédiction, puis il s’arrêta, et, en soupirant, éleva les mains ; mais il ne put long-temps les tenir étendues elles retombèrent !

À ce soupir, toutes les têtes se sont levées, tous ont gémi et souffert de la tristesse du père. Alors il m’a semblé que, du grand-autel où il se tenait, un cardinal, le même qui nous avait fait entrer, s’avança d’un pas ferme et assuré vers le vieillard des vieillards, et, lui tendant la main, lui montra, avec l’éclair de ses yeux, le lieu où était le tombeau de saint Pierre. Le vieillard fit quelques pas en avant et tressaillit ; le cardinal, d’un mouvement de tête, a rejeté en arrière les boucles de ses cheveux, et, d’un geste, il fait signe à ceux qui portaient le trône d’avancer.

Alors le père qui est sur terre pose sa main pâle sur le dossier du trône, et il s’asseoit. Les porteurs saisissant le trône et l’élevant, de nouveau les trompettes ont retenti dans l’église. Le cardinal, l’homme habillé de pourpre, marche à l’un des côtés du trône ; le peuple se lève de terre ; la cloche commence à sonner. Il m’a semblé que douze fois les voûtes ont tremblé. Autour du grand-autel, les nuages d’encens montent et s’élèvent vers les voûtes. Le pape gravit les degrés, et l’homme vêtu de pourpre dit ces paroles : « Le Christ est né. »

Et aussitôt de la foule des pèlerins s’éleva un gémissement plaintif, et ils disaient : « C’est pour la dernière fois, car les paroles de l’ange s’accompliront. »

Et le peuple de Rome cria avec rage : « Qui ose blasphémer dans l’église de Saint-Pierre ? »