LES FEMMES DU CAIRE. 33
Cependant le gouvernement paraissait avoir célébré l’arrivée du Mahmil à la satisfaction générale ; le pacha et sa famille avaient reçu respectueusement la robe du prophète rapportée de la Mecque, l’eau sacrée du puits de Zemzem et autres ingrédiens du pèlerinage ; on avait montré la robe au peuple à la porte d’une petite mosquée située derrière le palais, et déjà l’illumination de la ville produisait un effet magnifique du haut de la plate-forme. Les grands édifices ravivaient au loin, par des illuminations, leurs lignes d’architecture perdues dans l’ombre ; des chapelets de lumières ceignaient les dômes des mosquées, et les minarets révélaient de nouveau ces colliers lumineux que j’avais remarqués déjà ; des versets du Coran brillaient sur le front des édifices, tracés partout en verres de couleur. — Je me hâtai, après avoir admiré ce spectacle, de gagner la place de l’Esbekieh, où se passait la plus belle partie de la fête.
Les quartiers voisins resplendissaient de l’éclat des boutiques ; les pâtissiers, les frituriers et les marchands de fruits avaient envahi tous les rez-de-chaussée ; les confiseurs étalaient des merveilles de sucrerie sous forme d’édifices, d’animaux et autres fantaisies. Les pyramides et girabdoles de lumières éclairaient tout comme en plein jour ; de plus, on promenait sur des cordes tendues de distance en distance de petits vaisseaux illuminés, — souvenir peut-être des fêtes isiaques, conservé comme tant d’autres par le bon peuple égyptien. Les pèlerins, vêtus de blanc pour la plupart et plus hâlés que les gens du Caire, recevaient partout une hospitalité fraternelle. C’est au midi de la place, dans la partie qui touche au quartier franc, qu’avaient lieu les principales réjouissances ; des tentes étaient élevées partout, non-seulement pour les cafés, mais pour les zier ou réunions de chanteurs dévots ; de grands mâts pavoisés et supportant des lustres servaient aux exercices des derviches tourneurs, qu’il ne faut pas confondre avec les hurleurs, chacun ayant sa manière d’arriver à cet état d’enthousiasme qui leur procure des visions et des extases : — c’est autour des mâts que les premiers tour- naient sur eux-mêmes en criant seulement d’un ton étouffé : Allah zheyt ! c’est-à-dire « Dieu vivant. » Ces mâts, dressés au nombre de quatre sur la même ligne, s’appellent sdrys. — Ailleurs la foule se pressait pour voir des jongleurs, des danseurs de corde ou pour écouter les rapsodes (skayërs) qui récitent des portions du roman d'Abou-Zeyd. Ces narrations se poursuivent chaque soir dans les cafés de la ville, et sont toujours, comme nos feuilletons de journaux, interrompus à l’endroit le plus saillant, afin de ramener le lendemain au même café des habitués avides de péripéties nouvelles.
Les balançoires, les jeux d’adresse, les caragheuses les plus variés sous forme de marionnettes ou d’ombres chinoises, achevaient d’animer cette fête foraine, qui devait se renouveler deux jours encore pour l’an-
TOME XV. 3