et fatigués, qui marchent au milieu des nations, luttant avec des débris d’armes contre la foule qui leur barre le passage, est-il besoin de le nommer ? c’est le peuple polonais. Une lutte terrible a commencé sur la terre : on sait comment elle a fini pour la Pologne. Dans cette musique lugubre qui monte des profondeurs de l’église, le poète a reconnu l’hymne de mort de tout un peuple qui va quitter le monde pour ne plus revenir. Cette femme, si belle et si triste, qu’il voit sortir d’un amas de vapeurs rougeâtres, c’est l’emblème de la patrie. S’attachant à ses pas, il traverse avec elle les printemps et les hivers des mondes inconnus ; le bruit des villes éloignées, les gémissemens des malheureux plongés dans le gouffre des mines, le rire souterrain de Satan, toutes ces plaintes, toutes ces rumeurs qui frappent son oreille, symbolisent les misères de l’exil et de la persécution. Bien des soleils et des nuits s’écoulent ainsi ; enfin il aperçoit dans les brouillards, assis au sommet d’un rocher, un vieillard tenant à la main une harpe monocorde, sur laquelle il chante les désillusions et le néant. Ce vieillard est le génie mauvais, l’esprit de la matière, celui dont parle saint Jean, lorsqu’il dit : Le prince de ce monde va venir. Montrant, d’un côté, le passé avec toutes ses ruines, de l’autre, le présent avec toutes ses richesses, le vieillard tente le poète par des paroles funestes ; il lui prêche l’oubli et le parjure, mais c’est en vain ; celui-ci demeure fidèle à la figure douloureuse et toujours aimée de la patrie, il la suit à travers des tourbillons de neige et sous un ciel glacé. Ce dévouement trouve sa récompense : bientôt la sainte figure grandit et rayonne ; le peuple mort rentre avec elle dans le monde des vivans, et le poète, la face contre terre, tombe en adoration au milieu de ceux qui ressuscitent.
Dans la Nuit de Noël, le même sentiment se fait jour avec la même profusion de symboles, sentiment de tristesse profonde causée par les douleurs présentes de la Pologne et de confiance inaltérable en son avenir. Les légions de pèlerins évoquées par le poète ne représentent pas seulement le peuple polonais, mais aussi la foule innombrable des esprits que tourmente le besoin de la foi. Tous doivent se diriger vers la ville sacrée, tous doivent passer par Rome. Voyageurs altérés, ils veulent apaiser leur soif aux piscines nouvelles ; mais ils les cherchent en vain, ils ne trouvent que stérilité et sécheresse ; ’ils ne voient qu’une basilique vermoulue et menaçant ruine. Cependant ils soutiennent de leurs armes la coupole près de tomber, et, lorsqu’elle s’écroule, l’humanité du moins ne disparaît pas avec elle. Des débris du passé monte à la lumière le temple régénéré des peuples, la basilique de tous les esprits, l’église qui pourra donner la clé de toutes les traditions et de toutes les philosophies. Au christianisme selon saint Pierre, c’est-à-dire au culte romain, succède le christianisme selon saint Jean, ou le culte d’effusion et de charité, celui qui rayonne et s’épand du sein de l’apôtre bien-aimé, le christianisme de l’avenir ! Le poète se fait ici l’apôtre d’une communion nouvelle, et l’attente qu’il exprime n’est pas étrangère à la plupart de ses frères de l’émigration.