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vous la perdrez, et avec elle votre nationalité, et vous-mêmes, vous vous absorberez en une race étrangère qui vous méprise et vous déteste. » Les tentatives des jésuites en Pologne pour substituer peu à peu le latin à l’idiome national le corrompent en y introduisant des mots étrangers ; elles créent une langue confuse, bâtarde, bizarre, remplie de gongorismes, et dont les novateurs font continuellement usage dans leurs controverses. La décadence est aussi complète en littérature qu’en politique.

Sous le règne de Stanislas (1764-1795), ou plutôt de la rusée et débauchée Catherine, la Pologne, abaissée à l’extérieur, était intérieurement dévorée par les factions. L’anarchie divisait ses premières familles. Seuls, les confédérés de Bar luttaient contre l’influence envahissante de la Russie. La poésie s’était réfugiée dans leurs rangs, et les animait d’un esprit que dédaignaient profondément les réformateurs de l’école voltairienne. Le père Marc, qu’on vénérait comme un saint, et l’héroïque Pulawski étaient traités de fanatiques par la petite cour littéraire qui entourait Stanislas et les chefs de quelques grandes familles. Pourtant les confédérés seuls faisaient entendre encore des accens dignes de la Pologne. L’instinct d’une mission nationale et la véritable idée de la patrie se révèlent dans tous les actes de la patriotique coalition, dans son attitude ferme et résignée pendant cette guerre cruelle qui dura cinq ans, et qui s’est terminée, en 1772, par le premier partage de la Pologne.

« La croix est mon bouclier, que le salut soit mon seul butin ! » chantaient les confédérés de Bar.

« Celui qui est notre chef, le Christ, nous défendra si nous sommes modestes comme lui, et si nous défendons, non notre gloire, mais la gloire du Père.

« Que peut-il m’arriver si je suis coupable ? Le malheur, comme une lime, ôtera toute rouille à mon ame ; et, si mon ame est sans tache, elle sortira des épreuves éclatante comme l’acier. »

Les efforts qu’on fit, à la suite du premier partage, pour opérer des réformes et rattacher la Pologne à l’Europe réagirent puissamment sur sa littérature. La France du XVIIIe siècle, par ses idées philosophiques et sociales, sa prépondérance littéraire, attirait alors tous les regards ; mais, comme si rien de durable ne devait germer sur le sol de l’imitation, des emprunts que la Pologne fit à la France il ne sortit qu’une poésie pâle, froide et d’une morte beauté. L’esprit de vie en était absent ; le peuple ne pouvait plus l’entendre. Ces tentatives, néanmoins, n’ont pas été complètement stériles ; elles ont eu le mérite de préoccuper vivement les intelligences et d’imprimer une impulsion qui devait aboutir, plus tard, à montrer l’inutilité des choses tentées. Fatigué d’infructueux essais, l’esprit polonais en est venu à démêler sa véritable inspiration ; il a compris que, pour rester puissante, cette inspiration devait rester nationale. Un autre résultat de ces tentatives fut le travail d’épuration que subit la langue ; dégagée de ses formes rudes ou vieillies, elle se montra bientôt chatouilleuse et susceptible presque à l’égal de la langue française.

Cependant la littérature ne pouvait se relever immédiatement de tant de secousses. Parmi les écrivains de talent qui luttèrent alors contre la décadence, il faut nommer Krasicki, l’un des plus populaires, l’historien Naruszevvicz et le poète Karpinski. Le dernier surtout, qui survécut aux trois partages de la Pologne, était un vrai poète : d’une pensée pieuse, élevée, artiste éminemment