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Dziwica (Vierge, mère de Dieu). Ce chant, que les soldats entonnaient avant les batailles et qui témoigne de l’alliance qui existait dès-lors entre l’esprit religieux et l’esprit militaire, est regardé comme le plus ancien monument de la langue polonaise. La véritable littérature pour la Pologne commence avec la renaissance des lettres en Europe. L’époque jagellonienne (1386-1572), appelée l’âge d’or de la poésie et de la science, voit naître alors de grands écrivains dans les trois frères Kochanowski, dont Jean porte à juste titre le nom de prince des poètes. Les deux autres, Nicolas et Pierre, ont laissé, le premier des poésies légères, le second la plus parfaite traduction qu’on ait en langue polonaise des poèmes de l’Arioste et du Tasse. Cette époque donne également naissance à Gornicki, l’historien publiciste, à Rey, le Montaigne de la Pologne, à Szymonowicz, et à quelques autres écrivains qui se distinguent surtout par l’élégance de la diction. Dès-lors, la langue se fixe dans toutes ses parties. Néanmoins c’est sous la dynastie élective des Waza (1587-1669) que la littérature polonaise devait rencontrer son plus glorieux représentant. Pierre Skarga, tribun religieux, sermonnaire politique, nous offre l’idéal du prêtre et du patriote. Ses ouvrages respirent une véhémente éloquence. Venu dans l’épanouissement d’un siècle de prospérité, il ne se laissa point éblouir ; son génie, au milieu des splendeurs du présent, prévoyait les malheurs qui, deux cents ans plus tard, devaient fondre sur la Pologne. Il sentait que la société était minée dans ses fondemens, et qu’elle perdait l’avenir en perdant les anciennes vertus. L’égoïsme et l’orgueil, en effet, avaient remplacé le dévouement et le sacrifice ; l’enthousiasme, cette ame de la nation, allait s’éteignant dans les coeurs. À ce spectacle, saisi de colère, de douleur, et comme pénétré de l’esprit de prophétie, Skarga se lève et annonce les désastres futurs ; il se lamente et maudit ; il exalte le patriotisme ; il rappelle le passé ; il parle de la patrie, non de cette patrie dont l’amour ne consiste que dans l’attachement au sol natal, mais de la patrie selon les idées slaves, de cette société idéale et fraternelle dont la divine pensée a été déposée dans le sein d’un peuple pour être un jour par lui fécondée et réalisée.

C’étaient là les derniers cris menaçans d’une littérature qui s’en allait avec la grandeur et la puissance de la Pologne. Les discours ou plutôt les prophéties de Skarga le rattachent à notre époque. Ses idées, en bien des points, confinent à celles qui remuent aujourd’hui les esprits. C’est ainsi qu’il attribuait la colère divine, dont il prédisait sans cesse les effets, à l’oppression du peuple des campagnes par la noblesse, et, depuis les dernières épreuves, cette pensée s’impose à toutes les consciences : les cœurs les plus hautains reconnaissent avoir manqué aux lois de la justice et de la charité ; ils acceptent les présentes douleurs en expiation du passé. L’orgueil a fait place à la sympathie ; chacun s’intéresse au sort des classes inférieures. De son côté, le peuple émancipé a pu s’initier à la vie politique ; il a révélé ce qu’il vaut sur les champs de bataille de l’insurrection ; son patriotisme lui a conquis ses droits, et désormais on sera tenu de compter avec lui et sur lui en tout ce qui touche la cause publique.

Après la mort de Skarga (1612), de grands malheurs fondent sur cette Pologne que de grandes victoires ne devaient pas relever, car « la pomme était gâtée au dedans, » selon la parole figurée du prophétique tribun. La langue polonaise, si belle, si majestueuse en sa simplicité, commence à se corrompre. « Votre langue, dit Scarga, votre langue qui, parmi les idiomes slaves, est seule restée libre,