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REVUE. — CHRONIQUE.

« Disons plutôt, s’écrie-t-il, disons avec l’apôtre : C’est notre faiblesse qui fait notre force ! c’est parce que l’enveloppe extérieure de l’église est usée qu’on commence à voir la lumière ; rien de plus précaire que la forme sous laquelle elle dure encore, de plus ébranlé que ses lois, de plus débile que ses fondemens ; soit ! qu’elle sache estimer tous ses opprobres, comme les opprobres du Christ, à plus haut prix que les trésors d’Égypte ; qu’elle demeure persuadée que ces misères mêmes la rapprochent plus du but qu’elle ne s’en rapprocherait en pensant s’affermir par quelque institution bâtarde. Laissez les ruines à terre, la régénération sortira des ruines. » Ainsi donc M. de Schelling veut abandonner le gouvernement spirituel aux puissances temporelles, parce que le gouvernement spirituel n’est pas organisé, et il ne veut cependant pas qu’on travaille à cette organisation parce qu’il compte sur le désordre du moment pour préparer les voies à l’avenir : il nous en coûte de prononcer une si dure parole contre ces extrémités où les théories aboutissent, mais cela s’appelle proprement éterniser le despotisme et semer dans l’anarchie.

Tel est à peu près l’ensemble de cet écrit singulier. Autant que le permettaient la rapidité de l’esquisse et la différence des langages, nous avons tâché de montrer le sens général et la portée directe de ces réflexions si substantielles. Nous avons cru que c’était une pièce de plus dans le procès compliqué qui se vide en Allemagne ; le nom dont elle était signée lui donnait assez de valeur pour qu’on dût l’étudier de près, quoiqu’elle fît exception, et fût plutôt un trait original qu’un indice commun. La sincère vénération que nous inspire M. de Schelling ne nous a point empêché de regretter, dirai-je d’accuser ? cette fatale puissance de sa pensée qui l’oblige à rompre avec son temps. On ne discute pas contre le génie, et nous n’avons pas eu cette présomption ; l’on est du côté qu’il soutient ou du côté qu’il attaque : nous avons essayé de nous défendre ; nais ce que nous essaierions bien en vain de faire passer dans cette analyse, c’est la profondeur et l’éclat qu’il y a par toutes ces pages, au milieu de toutes leurs injustices ; ce que nous aurions encore et surtout voulu rendre, c’est été cet accent de tendresse avec lequel l’illustre philosophe, oubliant sa polémique au souvenir de son ami, dépeignait les douceurs de l’affection qu’il avait perdue. C’est du bonheur toujours de trouver dans le même homme un si noble cœur avec un si grand esprit.


Alexandre Thomas.


BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.


CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE, recueillis et publiés par M. Th. Hersart de la Villemarqué[1]. — Il y a entre la poésie vraiment populaire qui se produit naturellement et sans culture et la poésie née du savoir, de l’étude,

  1. 2 vol., 4e édition. — Chez A. Franck, rue Richelieu, 69.