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prétendent abjurer la chose aussi bien que le symbole qui l’exprimait, et, s’ils repoussent l’un, c’est parce qu’ils ne peuvent pas saisir l’autre. « Conjurez ceux que l’on nomme des maîtres chrétiens d’enseigner réellement le christianisme, les plus honorables, les plus sincères vous répondront : Nous ne pouvons pas ; et si on leur crie : Vous devez pouvoir ! ils répondront encore : Donnez-nous la possibilité ! » D’où cette possibilité viendra-t-elle ? Autrefois on prouvait avec force textes la divine origine des Écritures, et la divinité du contenu s’ensuivait ; c’était la voie d’autorité ; cette voie-là est désormais fermée. Il en était, il en reste une autre, c’est la voie de piété, c’est la foi pure et simple qui croit sans avoir besoin de comprendre, parce que la vérité lui apparaît, non point entourée de garanties et de témoignages, mais sentie et comme invinciblement révélée par une expérience toute spéciale. Expérience, révélation (Erfahrung, Offenbarung), ce sont deux mots synonymes dans la langue de M. de Schelling. L’expérience cependant est un fait personnel qui s’accomplit dans l’individu ; on ne peut asseoir là-dessus ni une église ni une théologie. Ayez donc une théologie plus pénétrante, qui soit désormais la lumière universelle planant au-dessus des convictions particulières, et représentant pour ainsi dire la conscience scientifique de l’église. Que cette théologie s’attaque au fond des choses, à leur matière, et non point à leur forme, selon l’expression scholastique affectionnée par M. de Schelling ; qu’elle touche la substance même du christianisme, de capite dimicatur ! qu’elle s’impose comme résultat suprême, comme obligation étroite, cette œuvre de salut : démontrer la possibilité des rapports sur lesquels sont basés les enseignemens capitaux du christianisme, en démontrant l’universalité de ces rapports que le vulgaire regarde comme exceptionnels. Rapport de Dieu avec lui-même dans la trinité, rapport de l’homme à Dieu par la chute originelle, rapport de Dieu à l’homme par la rédemption, ce ne sont point là des phénomènes miraculeux, ce sont les lois les plus universelles de la pensée absolue, de l’existence tout entière. L’unité, l’universalité, ces deux attributs de l’église véritable, on se trompe en les cherchant dans une église extérieure, toujours passagère et caduque ; il n’y a d’universalité bien entendue que cette universalité intérieure et essentielle qui constitue l’église invisible sur un ensemble de principes qu’on retrouve à travers tous les mondes de la métaphysique, de la nature et de l’histoire. Le protestantisme n’avait pas d’autre but que la fondation de cette communion sublime ; c’est pour cela qu’il s’est séparé de Rome, et c’est le réduire singulièrement que de lui donner pour mission dernière ce bavardage de morale des prédicateurs du jour, ces hâbleries de vertu qui n’élargissent point le cercle de connaissance, qui ne sont point une doctrine, qui ne sont point un édifice, un système de vues chrétiennes. M. de Schelling semble imaginer qu’il faut prêcher le christianisme par la métaphysique pour le rendre populaire.

Quoi qu’il en soit de ces magnifiques espérances dont se flatte un si puissant esprit, nous nous confions moins encore à ses promesses qu’aux directions de cette sagesse commune dont il a si mince estime ; nous la jugeons plus efficace qu’il ne veut bien le dire, et nous en avons pour preuve cet involontaire accord qui réunit parfois les idées du glorieux rêveur aux idées les plus chères des humbles rationalistes. Qu’annonce aujourd’hui le rationalisme en Allemagne ? Justement ce que M. de Schelling a lui-même compris : la ruine des symboles, suite inévitable de l’individualisme des croyances ; la transformation d’une église