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puis il ajourne le rappel lui-même jusqu’à ce qu’il soit établi, par cette expérience de plus, que l’Angleterre ne peut point accomplir ces réformes à elle seule, et qu’il faut pour administrer l’Irlande un parlement irlandais. Qu’arrivera-t-il cependant si le parlement anglais suffit à la tâche et répond à ces provocations par un succès ? Le savant praticien s’est échappé jusqu’à le dire : « On pourra déserter alors la cause du rappel, puisqu’il n’y aura plus de griefs, et j’inviterai le peuple irlandais à faire halte. »

Lord John Russell est homme à profiter de toutes ces chances favorables ; mais, il ne faut pas s’y tromper, le problème est grave et touche aux fondemens de la constitution britannique. Le bill des sucres, qui passera tôt ou tard, n’est rien à côté de ces bills qu’il faudra soutenir pour amener l’Irlande sur ce terrain d’égalité dont on lui promet l’investiture. Il faudra faire un pas de plus et un grand pas sur cette route où les institutions anglaises vont si rapidement désormais rejoindre les nôtres ; les libertés anglaises n’étaient que des privilèges, il faut qu’elles deviennent les droits de tous ; l’histoire du renversement progressif de la véritable constitution serait la plus curieuse et la moins connue qu’on pût raconter. La régénération de l’Irlande doit y ajouter un chapitre de plus, et un chapitre plus considérable encore que la loi des céréales ; il y aura là du moins un gage plus essentiel donné par l’ancienne société à l’esprit des sociétés modernes. Qu’on mette plus de députés irlandais au parlement, plus d’électeurs dans les collèges irlandais, plus de francs-bourgeois dans les municipalités irlandaises, ce sera la restauration politique du pays ; que l’on révise ce code de détresse qui réduit le paysan au servage, en armant le propriétaire de toutes les ressources d’une loi impitoyable pour chasser à volonté son fermier, on aura certainement assuré le vivre à des milliers de misérables, et garanti davantage la sécurité publique ; mais que l’on touche seulement à l’établissement ecclésiastique d’Irlande, que l’on réussisse à mettre une partie des immenses revenus du clergé protestant au service d’une appropriation quelconque, et la suprématie anglicane aura reçu sa plus rude atteinte : on aura presque défait le vieux système d’une église d’état. On aurait peut-être sujet de penser que déjà lord John Russell commence à poursuivre un résultat si considérable, et les whigs semblent se préparer à quelque grand débat de ce genre. C’est une chose très digne d’attention que, même en ce pays d’activité pratique, les mouvemens de l’opinion se produisent toujours au nom d’un principe, et point au nom d’un fait, Quand on a voulu le pain à bon marché, on a mis en avant le principe général de la liberté du commerce : aujourd’hui, qu’on veut remédier à l’abus le plus criant du régime irlandais, à l’abus ecclésiastique, il se pourrait bien qu’on invoquât le principe général de la liberté religieuse. S’il est en effet un point sur lequel aient, depuis huit jours, insisté tous les organes du parti whig, c’est celui-là ; dans la presse, au listings, aux communes, les paroles le plus nettes ont à l’avance témoigné d’un concert unanime et d’une décision arrêtée ; il y a mieux, cette idée de liberté religieuse s’est formulée de tous côtés, à propos d’une même question, la plus délicate, la plus complexe, la plus positive de celles qu’elle atteint, je veux dire la question de l’éducation nationale. L’Angleterre en était encore, il n’y a pas bien long-temps, au principe exclusif de l’éducation du peuple par le clergé, et il faut une révolution dont on ne sait ici ni tous les détails ni toute la portée, pour que l’état ait déjà pris sur lui d’intervenir en son nom propre. Cette intervention a toujours