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exprimant le vœu d’une réforme complète pour l’Irlande, s’est abstenu de se prononcer sur l’exécution, et peut encore se jeter avec les siens du côté qu’il voudra, suivant les occurrences ; enfin les radicaux, les Irlandais repealers, les meneurs de l’agitation dans le parlement et dans le pays, avaient droit d’attendre quelque obligeance d’un ministère très redevable à la leur, et pourtant ce n’était pas en cédant beaucoup à ceux-là que l’on obtiendrait beaucoup des tories. Ces diverses exigences se produisirent tout de suite au moment de la composition du cabinet, d’autant mieux d’ailleurs que les whigs ont toujours passé pour gouverner en famille, et qu’on eût été bien aise de rompre cette oligarchie traditionnelle en la contraignant à s’allier des élémens nouveaux. Lord John Russell est habilement sorti de ces complications ; il a prié lord Wellington de rester le chef de l’armée, ainsi que cela s’était déjà vu en 1827, et, quelles qu’aient été les réserves du noble duc, si formellement qu’il ait abdiqué la vie politique, il est impossible que sa présence ne rassure pas les conservateurs contre cette ardeur d’innovations précipitées qu’on reproche encore aux whigs par habitude, même après les révolutions expéditives de sir Robert Peel. Celui-ci s’est, du même coup, trouvé mis en demeure de la manière la plus décisive lord John Russell est venu franchement lui demander son appui, admettant à la fois le programme et les hommes du cabinet qu’il remplaçait, et offrant trois sièges dans le sien pour lord Dalhousie, lord Lincoln et M. Sydney Herbert. On n’a point accepté. Sir Robert Peel, tout en donnant l’assurance de ses bonnes intentions, a cependant répondu en termes généraux qui laissaient supposer une certaine froideur, et les ministres whigs n’ont pu s’empêcher d’en manifester quelque ressentiment ; mais la stratégie de lord John Russell n’en a pas moins eu son effet, et il a bien assez prouvé que c’était sa propre politique qu’il reprenait des mains de sir Robert pour qu’il soit difficile à sir Robert de la contrecarrer très directement.

Restaient les hommes de la ligue, M. Cobden et M. Villiers, les véritables vainqueurs du jour, dont il n’était possible de méconnaître ni les titres ni l’influence ; il était, d’autre part, fort embarrassant de les amener à des fonctions officielles par une route si différente de celle qui d’ordinaire y conduit, et il y avait une responsabilité réelle à récompenser ainsi l’agitation extra-légale. Ni M. Cobden ni M. Villiers n’ont voulu tourner les circonstances à leur profit, et les égards dont on les a comblés, en proclamant bien haut leur désistement, témoignent avec une naïveté singulière de l’ennui qu’ils eussent causé en ne se désistant pas. On avait surtout peur de M. Cobden, l’homo novus par excellence : sous air de regretter que sa fortune et sa santé ne lui permissent point de participer encore au pouvoir, on affecta de répéter d’un ton de bienveillance aristocratique que M. Cobden était parfaitement en état d’entrer dans une compagnie de gentlemen anglais, quel que fût leur rang et leur condition sociale. Les démocrates de la ligue n’ont pas été insensibles à ces complimens, et lord John Russell a tout terminé en réservant à des membres d’une opposition plus avancée que la sienne quelques-unes de ces places secondaires dont les titulaires changent à chaque révolution ministérielle, et dont le nombre constitue une force de plus dans le parlement comme dans les affaires.

Le cabinet whig, maintenant organisé, va passer des questions de personnes aux questions de pratique ; il semble qu’il y ait en ce moment une convention