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Voilà le gros de la bataille. Trois minorités se dessinent sur le second plan comme des groupes isolés : les radicaux, les légitimistes et les catholiques, non pas les trente-trois millions de catholiques que renferme la France, mais les catholiques de M. de Montalembert, — ils occupent moins de place. Dans l’attitude des radicaux, il y a de la réserve. Les hommes les plus ardens de l’opinion démocratique eussent désiré qu’un manifeste solennel proclamât dans toute leur franchise les principes du parti ; mais pouvait-on s’entendre pour la rédaction d’un pareil programme ? Le radicalisme a ses nuances, ses divisions, son côté droit et son côté gauche. On s’est donc arrêté à un moyen terme. Un comité, qui se donne pour le représentant des électeurs de l’opposition du département de la Seine, a publié une circulaire dont les rédacteurs ont eu l’intention évidente de se montrer hommes modérés et pratiques. Il n’est pas question, dans cette circulaire, de doctrines, de théories radicales ; on s’y place au milieu des faits, on y propose des réformes modestes, comme la réunion de tous les électeurs d’un département au chef-lieu, et l’augmentation du nombre des électeurs par l’adjonction de la seconde liste du jury. N’est-ce pas là un remarquable symptôme de modération et de prudence ? Cette fois le parti radical a su juger sainement l’état de la société et sa propre situation. Il a compris que, pour ne pas perdre toute influence, il devait accepter et reconnaître le pays légal, tel que l’a fait la charte de 1830.

Plus encore que les radicaux, les légitimistes ont cette position singulière, de ne pouvoir se présenter, se grouper comme un parti distinct, sans qu’ils ne voient sur-le-champ la grande majorité du pays s’éloigner d’eux. La France ne veut pas du parti, et en même temps elle a de l’estime, de la considération pour les hommes honorables et sincères que la révolution de 1830 a pu blesser dans leurs affections et leurs souvenirs. On a annoncé que les élections de 1846 amèneraient sur les bancs de la chambre un plus grand nombre de légitimistes. Si l’événement donne raison à cette conjecture, il prouvera que de ce côté les opinions se transforment et se tempèrent de plus en plus. On n’obtient pas la députation sans une candidature franchement avouée. Soutenir ouvertement une candidature, c’est accepter, au moins en apparence, la charte de 1830, les faits et les hommes du régime actuel, et bientôt l’apparence conduit à la réalité. On n’est pas candidat sans se mettre en rapport avec toutes les opinions, avec toutes les influences ; viennent alors les transactions, les tempéramens, et l’homme qui paraissait le plus inflexible se trouve insensiblement modifié par le milieu politique où il est entré. Il est d’ailleurs quelque chose de supérieur à tous les préjugés, à tous les regrets : c’est le double intérêt du propriétaire et du chef de famille. Le possesseur d’une grande fortune est le défenseur naturel de l’ordre social, et il manque rarement à ce devoir. L’avenir des enfans ne permet pas non plus aux pères de se tenir éternellement éloignés du mouvement social et de la vie politique. C’est ainsi que l’irrésistible puissance du temps et des choses ramène au centre commun tout ce qui tendait à s’en écarter : elle exerce une bien autre autorité sur les esprits des légitimistes que certain journal avec sa démagogie carliste et le remède héroïque du suffrage universel.

Il est une nouveauté dont les élections de 1846 doivent, à ce qu’on assure, nous donner le spectacle : c’est l’intervention du clergé stipulant pour lui-même. Depuis trois ans, la question de la liberté religieuse a remué les esprits, et nous