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singe gigantesque une torche allumée, puis, gagnant l’une des extrémités de la clairière, il se tourna du côté de l’orient, et se tint immobile, les yeux fixés sur le sommet des montagnes. La partie du ciel la plus rapprochée du sommet se colora bientôt d’un rose vif qui ne tarda pas à se changer en pourpre. En ce moment, le lion leva la torche et l’approcha du rideau de coton cardé qui s’élevait au-dessus de sa tête. Le tissu spongieux s’enflamma, et, en ce moment où les dernières ombres de la nuit n’étaient point encore entièrement dissipées, le feu répandit au loin une éblouissante clarté. En quelques minutes, le vaste dais fut consumé, et joncha le gazon de flammèches noircies. Dans cet intervalle, le soleil s’était levé, et, alors qu’expiraient les dernières étincelles, il versait déjà sur tous les objets une éclatante lumière.

Le chef alors, dépouillant la peau de lion, laissa voir aux assistans sa figure calme et fière, puis il étendit la main vers les débris de la tente, et, d’une voix solennelle, il prononça un discours que Cayetano nous traduisit à peu près ainsi :

« Qui de nous pourra dire combien d’années se sont écoulées depuis que le grand Esprit a créé ce soleil à pareil jour ? Nos pères n’ont pas su les compter ; mais, comme ce feu vient de consumer ce coton, le soleil a dissipé les ténèbres qui couvraient la terre, sa chaleur a fait vivre ce qui était mort, sa lumière a perfectionné ce qui était vivant ; grace à lui, les brutes sont devenues des hommes ! »

A l’exemple du chef, tous les Indiens s’empressèrent de dépouiller leurs déguisemens, les animaux redevinrent des créatures humaines, et des chants d’allégresse s’échappèrent en mâles accens de ces gosiers sauvages ; la voix plus douce des femmes alternait avec celle des hommes, tandis qu’elles lançaient en l’air les fleurs de leurs paniers.

La cérémonie religieuse était finie, mais je devais assister à une scène plus imposante encore. Sur un signe du chef, tous les Indiens se donnèrent l’accolade : un air de franchise et de loyauté régnait sur toutes les physionomies. Deux hommes seulement échangèrent un regard de haine. Ce regard n’échappa point au chef, qui, fronçant le sourcil, adressa aux deux Indiens une courte exhortation. Ceux-ci répondirent par des murmures. Alors le chef, se tournant de manière à ce que le nord fût à sa gauche et le sud à sa droite, étendit les bras dans une attitude solennelle, et ajouta de cette voix imposante qui, la première, avait commandé le silence la nuit précédente, quelques paroles dont voici la traduction :

« Nos pères ont dit : Deux ennemis ne doivent pas vivre dans le même village ; l’Indien désuni devient l’esclave des blancs ; la haine entre deux Papagos, c’est l’exil. »

La haine qui séparait ces deux sauvages devait être bien violente, car