viendraient me prendre le lendemain, 24 décembre, et que nous partirions de bon matin ; puis nous nous séparâmes, et je regagnai mon logis.
Le lendemain matin, au lever du soleil, j’étais prêt à monter à cheval, quand trois cavaliers vinrent s’arrêter à ma porte. Le premier était le sénateur ; le second, l’étranger qu’il me présenta comme Anglais, et dans le troisième je reconnus mon joueur balafré de la veille : c’était le guide qui devait nous conduire. Une singularité me frappa chez l’étranger : qu’il parlât fort mal le français, qu’il écorchât l’espagnol d’une façon vraiment incroyable, je trouvais cela tout naturel. Rien n’était divertissant comme les méprises qu’il commettait en parlant, et dont il riait lui-même le premier de fort bonne grace. Ce qui m’avait frappé chez lui, c’était son teint foncé, c’était son allure méridionale, qui indiquaient un long séjour en des pays dont l’Anglais paraissait ignorer complètement la langue.
Nous prîmes le chemin des lagunes. Hardiment campé sur un fort beau cheval d’une vigueur à toute épreuve, qui mâchait impatiemment son mors et jetait au vent des flocons d’écume, notre guide marchait à quelque distance en avant de nous.
— Vous connaissiez donc déjà cet homme ? demandai-je au sénateur.
— Tout le pays le connaît, me répondit don Urbano ; il est de son métier pêcheur de tortues, il a des accointances un peu partout, car c’est par lui que j’ai obtenu le sauf-conduit, ou, pour mieux dire, la permission d’assister à la cérémonie que nous verrons cette nuit chez les Papagos, avec qui, du reste, nous sommes en paix. J’aurais trop à faire si je voulais énumérer tous ses talens, ajouta mystérieusement le sénateur, et puis c’est un électeur influent !
Pour don Urbano, c’était tout dire ; je m’inclinai devant cette dernière qualité, et je ne m’étonnai plus de la docilité avec laquelle l’ambitieux sénateur s’était prêté la veille aux cavalières exigences de son adversaire.
En marchant d’Hermosillo vers l’île de Tiburon, on longe le Rio San-Miguel. Cette rivière est, selon la saison, un mince filet d’eau qui coule inaperçu dans un vaste lit, ou bien une mer impétueuse que ce lit ne peut plus contenir, et qui dégorge ses eaux limoneuses dans d’immenses lagunes, avant d’alimenter un lac qu’elle rencontre dans son cours. Parmi ces lagunes, les unes sont comme un miroir de cristal, d’autres cachées par de grands roseaux, d’autres enfin couvertes d’une croûte épaisse d’herbes vertes qui donne à leur surface mobile une perfide apparence de solidité. Un dais de vapeur se balance au-dessus de ces marécages, au-dessus de ces roseaux qui frissonnent toujours, soit sous l’haleine du vent humide, soit sous les efforts des caïmans qui prennent sur la vase leurs monstrueux ébats. Tant que dure le jour, tout est désert et silencieux ; quand le soleil décline, quand les