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— Ce qui ne vous empêche pas de leur gagner leur argent ?

— Que voulez-vous ? dit le sénateur, il faut bien faire quelque chose pour ses commettans. Vous ne savez peut-être pas qu’un concurrent, redoutable me dispute l’honneur de représenter l’état au congrès souverain.

Ce sénateur me parla quelque temps encore de ses projets politiques ; puis, s’étant mis à ma disposition avec toute la courtoisie mexicaine, il me proposa d’aller faire un tour sur la place, et nous sortîmes. L’esplanade qui domine le Rio San-Miguel, et le lit desséché de la rivière elle-même présentaient un coup d’œil fort animé ; j’ai dit que les fêtes de Noël allaient commencer. Des cabanes de feuillage étaient dressées de distance en distance, les feux allumés sur les trépieds de fer ondoyaient en tous sens en pétillant, et éclairaient des pyramides de fruits, des échafaudages d’infusions rafraîchissantes de toutes couleurs. Une foule aux costumes bigarrés, bizarrement éclairée par la flamme rougeâtre du bois résineux, circulait de tous côtés. D’une part, des créoles dansaient des fandangos effrénés au son des castagnettes et des mandolines. Plus loin, des Indiens exécutaient leurs danses lugubres au bruit de calebasses remplies de cailloux et aux cadences mélancoliques de leurs chanteurs, brusquement variées par leurs divers cris de guerre ; au milieu du joyeux tumulte des danseurs créoles, cette mélopée funèbre semblait la plainte des vaincus, et les cris de guerre pouvaient paraître des accens de rébellion arrachés par l’esprit de vengeance, qui ne meurt jamais au cœur des peuples primitifs. Je communiquai ces réflexions à don Urbano. — Les tristes restes que vous voyez, me dit-il, de peuplades jadis formidables ne songent nullement à reconquérir une indépendance dont leurs pères même avaient perdu le souvenir. Vous ne pourriez vous faire une idée exacte de l’Indien dans toute la fierté de son allure sauvage qu’en voyant les Indiens Papagos ; malheureusement ils célèbrent aussi leur fête de Noël, et ils n’ont pas quitté leurs réjouissances pour les nôtres.

— Quoi ! lui dis-je, ils sont donc chrétiens ?

— Non ; mais une singulière coïncidence place, dans leur croyance, la naissance du soleil le même jour que la naissance de notre Christ. Ce serait un chapitre à ajouter à l’Origine des Cultes (tous les Mexicains ont lu cet ouvrage ainsi que les Ruines de Volney) et un chapitre fort intéressant, eu égard à la manière étrange et fantastique dont ils célèbrent cette fête. Je dois y assister précisément avec un étranger, et, s’il vous plaît d’être des nôtres, je vous le présenterai ; il sera enchanté de faire votre connaissance. J’ai obtenu un sauf-conduit d’un chef papago, et nous aurons un guide sur qui nous pouvons compter.

Ce programme était de nature à piquer ma curiosité, et j’acceptai avec empressement. Il fut donc convenu que le sénateur et son compagnon