Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE ROI. — Ne craignez rien, j’ai tout le temps nécessaire.

MONTIGNY, ramassant ses propres gants qu’il a laissé tomber. — Voici des gants que votre majesté a laissé tomber.

LE ROI. — Ils ne sont pas à moi.

MONTIGNY. — La gouvernante de Flandre… Je suis tout hors de moi… Seul, devant votre majesté… Le respect m’a troublé.

LE ROI. — Oh ! la conscience !

DON DIÉGO DE CORDOVA. — Le Flamand n’y est plus.

LE ROI. — Vous voulez dire que ma sœur me donne avis des projets de quelques brouillons, de quelques séditieux qui travaillent à soulever la Flandre. J’aime à espérer que vous n’êtes pas du nombre. Vous êtes venu pour conférer avec moi sur les moyens les plus prudens de faire échouer ces projets, et il y a plus d’un mois que je vous retiens. N’est-ce pas cela ?

MONTIGNY. — Oui, sire, et je veux partir.

LE ROI. — Vous ne pouvez partir si tôt.

MONTIGNY. — Pourquoi ?

LE ROI. — Parce que cela importe… L’Espagne est un agréable séjour pour les étrangers.

MONTIGNY. — Ma présence est nécessaire en Flandre.

LE ROI. — Prenez patience, prenez patience, Montigny.

MONTIGNY, à part. — Le roi connaîtrait-il mes projets ?

LE ROI. — Vous reviendrez me parler plus à loisir.

MONTIGNY. — Je n’ai manqué en rien à ce que je dois à ma naissance et à mon roi.

LE ROI. — Je le souhaite pour vous. (Il sort.)

MONTIGNY. — Ce n’est pas un roi, c’est un fantôme. Que dois-je faire ?

DON DIÉGO DE CORDOVA. — Prenez patience, prenez patience, Montigny. N’oubliez pas que les rois sont des médecins qui, comme les autres, guérissent et tuent également par leurs remèdes.


Montigny, à peine remis de son trouble, va trouver don Carlos, avec qui il est déjà engagé dans de secrètes pratiques. Don Carlos est en ce moment livré à un de ces accès de noire mélancolie sous lesquels sa faible intelligence doit finir par succomber. Montigny, qui attend pour l’aborder l’instant où il sera seul, s’est glissé mystérieusement jusqu’à la porte de son appartement. Le prince, apercevant dans l’ombre d’une tapisserie un homme qui cherche à se cacher, le prend pour un espion de son père chargé de surveiller ses démarches. Dans sa colère, il le frappe violemment et lui met le visage en sang. Lorsqu’il a reconnu sa méprise, il témoigne à Montigny le regret qu’il en éprouve, et commence à s’entretenir avec lui de leurs projets communs ; mais cette conférence, sans cesse interrompue par les incidens étranges ou ridicules que suscite l’humeur fantasque de don Carlos, est bientôt plus gravement troublée par l’arrivée du roi… Montigny se retire précipitamment dans un cabinet. Le roi, après avoir soigneusement demandé à don Carlos si