naturelle, ainsi qu’on a jugé, celle du marquis de Berghes. De cette façon, il me semble qu’on a atteint le but qu’on se proposait, puisqu’on a fait justice et évité la rumeur et les fâcheux effets d’une exécution publique. » On n’a pas oublié que ces jugemens posthumes avaient pour objet la confiscation des biens.
Ce que présente de plus frappant ce long récit, dont je n’ai cru devoir écarter aucun détail, ce n’est pas précisément l’iniquité de la sentence portée contre Montigny : l’histoire de tous les pays et presque de tous les temps offre de trop nombreux exemples d’innocens sacrifiés par les passions politiques sous des prétextes moins spécieux encore ; mais toutes les fois que ces passions, au lieu de recourir purement et simplement à l’assassinat, ont cru devoir mettre en œuvre l’appareil des formes judiciaires, on les a vues épuiser les ressources du sophisme pour tromper le public, peut-être pour s’abuser elles-mêmes, soit en se retranchant derrière la nécessité d’un exemple, soit en alléguant l’impulsion irrésistible de l’opinion indignée contre le prétendu criminel. Dans l’affaire de Montigny, il n’y a rien de pareil : non-seulement Philippe II et ses conseillers ne prétendent pas que le supplice du condamné soit un exemple nécessaire ou utile, ils répètent à chaque instant qu’il faut le tenir secret pour ne pas compromettre de nouveau la tranquillité des Pays-Bas ; non-seulement ils ne se présentent pas eux-mêmes comme cédant aux exigences des emportemens populaires, ils reconnaissent que la mort de Montigny causera une douleur générale. Comme, d’un autre côté, il ne paraît pas que Philippe II eût en cette occasion aucun motif de vengeance personnelle, on a peine à s’expliquer les véritables causes d’un acte de cruauté qui, en apparence au moins, blessait tous les intérêts sans donner satisfaction à aucun. Ne faut-il y voir que le misérable désir d’enrichir le trésor par la confiscation des biens du condamné ? J’hésite à penser que ce soit là, en effet, la considération principale qui ait agi sur le monarque espagnol, quoique cette mesquine et honteuse préoccupation ressorte évidemment de sa correspondance. J’aimerais mieux croire que, dans sa triste et sévère humeur, accoutumé à considérer le pouvoir absolu des rois comme une émanation de la puissance divine, Philippe avait accepté comme un devoir religieux l’obligation de châtier impitoyablement la moindre tentative de résistance à ce pouvoir. Quelque cruelle, quelque coupable que soit une semblable aberration de l’intelligence, elle n’exclut pas absolument une certaine élévation morale, et tel despote dont l’histoire indulgente a glorifié le nom a pu, dans l’occasion, s’y laisser entraîner. Ce qui caractérise Philippe II, ce qui, en cette circonstance, le rabaisse au niveau des malfaiteurs vulgaires, c’est la nature des moyens qu’il employa sans paraître seulement en soupçonner la bassesse. Nul avant lui, nul après lui n’a imaginé de donner à l’exécution