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efforcé de lui procurer, dans la situation si pénible où il se trouvait, tous les adoucissemens possibles. Il a fini par se persuader que sa majesté avait usé de grace envers lui en conduisant l’affaire de cette façon. J’ai employé tout le temps qui s’est écoulé depuis ce moment jusqu’à deux heures du matin du dimanche à m’assurer de ses dispositions par rapport à la foi et de toutes les autres choses nécessaires pour un aussi long voyage, et j’en suis resté satisfait, très satisfait… Il a dressé un mémoire écrit de sa main que je joins à cette lettre, et qui doit me servir de guide pour m’acquitter des commissions qu’il m’a laissées, si sa majesté veut bien y donner son consentement. Me croyant obligé, en conscience, de donner satisfaction au public par rapport aux soupçons odieux qu’on avait conçus sur son compte en matière de religion, il m’a remis la déclaration et confession que vous trouverez également ci-jointe, et je n’ai pas voulu qu’elle fût écrite de ma main pour que, si par hasard sa majesté jugeait quelque jour à propos de la faire publier, on ne pût pas dire qu’il l’avait signée étant malade, sans l’avoir lue et peut-être sans savoir ce qu’elle contenait. Quant au mémoire dont je parlais tout à l’heure, il est écrit dans le langage d’un homme qui demande l’aumône. Il a fait de lui-même la remarque que, sous le coup de la sentence qui le frappait, il n’avait plus le droit de disposer d’un seul réal ; mais on a cru pouvoir lui laisser faire les dispositions que vous verrez, parce qu’il n’a pas semblé qu’elles s’appliquassent à des choses de telle nature qu’un homme aussi malheureux et réduit à cet excès d’infortune ne pût espérer les obtenir de son roi catholique. Il désire que ses habits, son linge, son lit et autres menus objets soient donnés à ses domestiques ; pour l’argenterie, dont il parle aussi, elle est d’une telle pauvreté, qu’elle conviendrait à peine à l’écuyer du plus triste village de la terre de Campos. Les autres dispositions, qui se rapportent à des obligations et à des dettes connues, montent aussi à peu de chose… Vous m’avez trouvé bon pour être le patron des infortunés ; nous espérons donc que vous nous ferez la faveur de rappeler à sa majesté la compassion que la nature enseigne à l’égard des morts, lorsqu’il n’existe pas de motifs connus de faire encore sur ce point des exemples rigoureux. Le silence est grand jusqu’à présent sur ce qui vient de se passer. La seule chose qu’on entende exprimer, c’est un blâme sévère de la dureté de don Eugenio, qui, par ses traitemens rigoureux, aurait mis fin à une existence déjà tellement affaiblie qu’elle ne tenait plus qu’à un fil… Quant au point principal, le condamné s’est si bien comporté, qu’à cet égard, nous tous qui lui survivons, nous pouvons lui porter envie. Il a commencé à se confesser hier à sept heures. A dix, je lui ’ai dit la messe et je lui ai administré le très saint-sacrement. Dans l’un et l’autre de ces actes, il a fait toutes les démonstrations de catholique et de bon chrétien que je désire pour moi-même. Il a passé le reste du jour et toute la nuit suivante en prières et en actes de pénitence, et à la lecture de certains passages de frère Louis de Grenade, à qui il s’était beaucoup attaché pendant sa prison. On voyait augmenter en lui d’heure en heure le désabusement de la vie, la patience, la résignation à la volonté de Dieu et du roi. Il a toujours reconnu que sa sentence était juste, mais en protestant de son innocence en ce qui touche aux articles du prince d’orange, de la rébellion, etc., disant qu’il consentait à ce que Dieu ne lui pardonnât pas s’il était coupable envers son roi, mais qu’il avait des ennemis qui, en son absence, avaient pu sans obstacle se venger de lui ; et tout cela, il l’a dit sans colère, sans