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sorte que son honneur n’en fût pas entaché et qu’on pût faire croire qu’il était mort de maladie. Montigny, qui ne s’attendait à rien moins qu’à un tel dénouement, éprouva une émotion assez forte en recevant cette notification. Cependant, s’il faut en croire la relation que j’ai déjà citée, il témoigna une vive reconnaissance du prétendu adoucissement qu’on lui présentait comme une grace ; il rendit même hommage à la droiture de ses juges, déclarant qu’ils avaient été induits en erreur par les calomnies de ses ennemis. Montigny ayant ensuite demandé un prêtre, on lui amena le père Hernando del Castillo, qu’on avait fait venir de Valladolid, et on les laissa ensemble. Le condamné employa à se préparer à la mort toute la nuit du samedi au dimanche, le dimanche tout entier et encore le commencement de la nuit suivante. Enfin, le lundi 16 novembre, à deux heures du matin, après qu’il se fut recommandé à Dieu aussi long-temps qu’il le voulut, dit la relation, le bourreau fit son office en présence de l’alcade, du greffier et des autres personnes admises au secret de cette tragédie. A l’instant même, l’alcade, le greffier et le bourreau repartirent pour Valladolid, où ils arrivèrent avant le lever du soleil. On avait signifié aux deux derniers qu’ils seraient punis de mort, s’ils révélaient à qui que ce fût ce qui s’était passé.

N’est-ce pas là le récit d’un assassinat commis dans les ténèbres par des malfaiteurs qui, se séparant en toute hâte avant que le jour découvre leur crime, s’engagent mutuellement au secret par des sermens et des menaces ? Le juge et le bourreau n’y figurent-ils pas presque de niveau, comme des complices unis par la solidarité d’un secret dangereux ?

La relation dont je viens d’extraire ces détails ne donne, sur les derniers momens de Montigny, que des informations incomplètes. On en trouve de plus étendues dans un autre document qui fait également partie des pièces dernièrement publiées : c’est une lettre adressée au docteur Velasco, celui-là même qui avait signé les instructions de l’alcade, par le moine qui offrit au condamné les secours de la religion. Voici ce qu’écrivait, le jour même de l’exécution, le père Hernando del Castillo :


« L’affaire s’est terminée aujourd’hui lundi à deux heures du matin… Samedi, à environ dix heures du soir, la sentence a été notifiée au condamné, qui ne s’y attendait nullement, comptant sur l’arrivée de la reine et se confiant dans son innocence ; aussi a-t-il manifesté d’abord une émotion qui a paru même augmenter peu à peu… J’ai commencé à faire mon office ; il m’écoutait avec beaucoup de calme, de modération et de patience dans son langage comme dans tout son extérieur, et son attitude est restée la même jusqu’à la fin. Il se plaignait beaucoup du gouverneur, don Eugenio, qui, depuis quelques jours, avait rendu sa prison beaucoup plus étroite ; mais, lorsqu’il a su qu’il n’avait agit ainsi que par ordre de l’autorité supérieure, il s’est montré satisfait. On s’est