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mirent la dernière main au plan qu’on leur avait tracé. Pour que l’exécution pût avoir lieu avec le secret tant recommandé, il fallait isoler Montigny et le garder plus étroitement dans sa prison ; mais, ces mesures rigoureuses pouvant elles-mêmes faire naître des soupçons, il importait de les expliquer par quelque motif au moins spécieux. On eut recours à un singulier artifice. Un billet écrit en très mauvais latin, qui semblait indiquer des intelligences entretenues par le prisonnier avec des personnes du dehors, fut jeté près de la porte de la chambre occupée par Montigny. Un des officiers du gouverneur ne manqua pas de l’y trouver et de la porter à son chef. On prétendit aussi que des hommes déguisés en chartreux avaient été aperçus auprès de la forteresse, cherchant à en reconnaître les approches pour coopérer à l’évasion. Montigny eut beau protester qu’il était absolument étranger à ces manœuvres vraies ou fausses, et qu’il ne savait pas même ce dont il s’agissait ; le gouverneur feignit de n’ajouter aucune foi à ses dénégations, et, affectant un ressentiment extrême de voir ainsi récompenser la confiance et les bons procédés dont il avait usé jusqu’alors envers son prisonnier, il déclara que dès ce moment le soin de sauver sa propre responsabilité passerait pour lui avant toute autre considération. Les domestiques de Montigny, qui jusqu’alors avaient pu lui continuer leurs services, lui furent retirés sous prétexte qu’on les soupçonnait de complicité dans ses projets de fuite, et lui-même, enfermé dans une chambre écartée, il n’eut plus, comme par le passé, la permission de se promener dans le château.

Montigny fut très affecté de ce changement, sa santé en reçut quelque atteinte. On tira parti de cette circonstance. Le médecin de la ville de Simancas, qu’il fallut bien mettre dans le secret, fut appelé dans la forteresse. On eut soin de l’y faire revenir plusieurs fois chaque jour, comme si l’état du malade eût été assez grave pour nécessiter ces visites fréquentes. Le médecin ordonnait chaque fois et faisait apporter ostensiblement des potions, des médecines appropriées à l’état d’un homme attaqué de la fièvre continue, et en rentrant dans la ville il avait soin de dire à tout venant que, suivant toute apparence, Montigny serait emporté avant le septième jour par la violence de cette fièvre.

Les préparatifs étant enfin terminés, le samedi 14 octobre, entre neuf et dix heures du soir, l’alcade, qui, suivant le plan arrêté, s’était introduit furtivement dans la citadelle avec un greffier et un bourreau, entra dans la chambre où le prisonnier était couché. Le greffier notifia à Montigny la sentence rendue contre lui par le duc d’Albe. L’alcade lui déclara ensuite que le roi, bien que convaincu de la justice de cette sentence, prenant en considération son rang élevé et voulant user de clémence à son égard, avait jugé à propos d’adoucir la peine en ordonnant que l’exécution n’eût pas lieu en public, mais secrètement, en