des comtes d’Egmont et de Horn, il craignait que ce qui aurait lieu en Espagne à l’égard de Montigny ne devînt un précédent dont ces illustres accusés pourraient s’appuyer pour réclamer avec plus de force le maintien de leur privilège. Il est curieux de voir à quelles subtilités il avait recours pour donner à l’illégalité qu’il s’efforçait de faire prévaloir l’apparence d’un prétexte : forcé de reconnaître qu’aux termes des statuts de la Toison, la trahison était du nombre des crimes soumis à cette juridiction privilégiée qu’il tenait tant à décliner, il prétendait qu’il n’en était pas de même du crime de lèse-majesté, auquel le duc de Bourgogne, fondateur de l’ordre, n’avait pu étendre ses prévisions, n’étant pas investi du caractère royal. Dans une autre lettre, postérieure de quelques semaines seulement., le duc d’Albe annonça au roi qu’il lui enverrait toutes les preuves, tous les indices qu’il pourrait recueillir contre Montigny, aussi bien que le projet de l’interrogatoire qu’il conviendrait de lui faire subir. Philippe II, en recevant cette dépêche, y mit en marge une note par laquelle il exprimait le désir de recevoir promptement les documens ainsi annoncés, attendu, disait-il, que dans cette affaire nous marchons tout-à-fait à l’aveugle.
Malgré cette recommandation, plus d’une année devait se passer avant que le procès de Montigny s’ouvrît sérieusement, soit qu’on ne pût trouver à son égard la matière d’aucune charge seulement spécieuse, soit que d’autres affaires plus urgentes ne permissent pas au duc d’Albe de s’en occuper encore. La situation du malheureux prisonnier était affreuse. Connaissant trop bien son implacable maître pour être rassuré par le témoignage de sa conscience, ignorant entièrement non-seulement les intentions qu’on pouvait avoir par rapport à lui, mais encore ce qui se passait dans les Pays-Bas, sans en excepter la mort de son frère, déjà immolé sur l’échafaud, il demandait vainement qu’on prît enfin une décision, et qu’on lui fît connaître les accusations dont il était l’objet. Il s’adressa successivement aux personnages les plus influens de la cour, au favori Ruy Gomez, au duc de Feria, à l’évêque de Cuença. Ne recevant pas de réponse, il forma, dans son désespoir, un projet d’évasion ; mais une lettre interceptée révéla le secret à ses gardiens, et un des complices de cette tentative fut puni du dernier supplice. Il y avait alors dix mois que Montigny était prisonnier.
Cependant on avait enfin réglé le mode de la procédure à laquelle il devait être soumis ; on avait décidé qu’il serait jugé dans les Pays-Bas, mais sans cesser d’être retenu en Espagne, où il serait interrogé en vertu d’une commission rogatoire délivrée par le tribunal institué à Bruxelles pour statuer sur les crimes d’état. Le choix d’une telle forme de jugement indiquait assez qu’on voulait s’entourer de ténèbres. Le procureur fiscal auprès du tribunal de Bruxelles présenta au duc d’Albe, président, ou plutôt seul juge de ce tribunal dont les autres membres