place à la cour de Philippe II. Ce prince connaissait trop bien les hommes pour ne pas ménager un tel serviteur. Il ne semble pas, cependant, qu’il ait jamais existé entre eux une véritable et intime confiance, et, malgré plus d’un trait commun dans ces deux caractères si remarquables, on comprend facilement, lorsqu’on les étudie avec quelque attention, les causes de cette secrète antipathie. La fierté du duc d’Albe, le sentiment qu’il avait de sa grandeur personnelle, de son mérite et de ses services, ne le disposaient pas à accepter pour lui-même le joug qu’il voulait imposer aux autres. Il ne supportait pas sans un profond mécontentement, de la part d’un roi encore jeune et sur qui il croyait avoir au moins la supériorité de l’expérience, ces témoignages d’une réserve froide et défiante, inhérente au caractère de Philippe II. Il s’indignait surtout de recevoir, pour l’exécution des projets confiés à son habileté, des instructions tellement détaillées et qui restreignaient à tel point ses pouvoirs, qu’elles lui semblaient blesser sa dignité. Sa correspondance avec Philippe II contient, à ce sujet, des plaintes exprimées avec une vivacité tout-à-fait originale ; il y rappelle que jamais, dans les nombreux commandemens dont il s’était vu chargé, on n’avait usé envers lui, jusqu’alors, de semblables précaution. Philippe II n’était pas homme à s’arrêter devant de pareilles susceptibilités. Affectant de ne pas bien comprendre le mécontentement du vieux guerrier, il n’y répondait que par d’insignifiantes explications qui ne changeaient rien à leur situation réciproque, mais qui ne permettaient pas au duc d’Albe d’insister. Il était facile de prévoir que la discorde éclaterait tôt ou tard entre un prince aussi jaloux de son autorité et un sujet aussi hautain ; mais ce jour n’était pas encore arrivé, et leur accord au moins, apparent devait se maintenir quelques années encore pour le malheur des Pays-Bas.
On sait comment le duc d’Albe, arrivé à Bruxelles, où il se présenta d’abord comme uniquement investi de fonctions militaires qui ne devaient porter aucune atteinte à l’autorité de la gouvernante, ne tarda pas à s’emparer, en réalité, de tout le gouvernement, comment, après s’être efforcé, par des démonstrations hypocrites, de calmer les esprits effrayés, de rassurer, de replacer sous sa main ceux qui, à son approche, s’étaient, à l’exemple du prince d’Orange, retirés en Allemagne, il jeta tout à coup le masque en faisant arrêter les comtes d’Egmont et de Horn, dont il avait ainsi trompé la loyale confiance ; on connaît le triste sort de ces deux seigneurs et des innombrables victimes immolées après eux par le tribunal sanguinaire auquel le duc d’Albe avait délégué l’exercice de ses pouvoirs. Le succès parut d’abord couronner cette politique. Une première tentative faite par le prince d’Orange pour délivrer les Pays-Bas à la tête d’une armée levée en Allemagne échoua complètement, et, comme il arrive toujours en pareil cas, donna une