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noblesse secondaire, qui, s’unissant aux autres classes de citoyens par un pacte devenu fameux sous le nom de compromis, alla en corps demander à la gouvernante l’abandon des mesures décrétées contre le protestantisme. La gouvernante effrayée promit de surseoir à l’exécution des ordres du roi. Cette concession arrachée par la terreur, loin de calmer les mécontens, devint pour eux le signal de nouvelles exigences. Le peuple, encouragé par l’attitude des classes supérieures, se souleva à Anvers, à Gand, à Lille, à Valenciennes, dans un grand nombre d’autres cités, et, non content d’établir le libre exercice du culte réformé, se livra contre le culte catholique et contre les églises aux violences et aux profanations les plus révoltantes. La gouvernante, aidée par les chefs même de l’opposition, dont ces excès dépassaient les vues et dérangeaient les calculs, parvint, non sans peine, à rétablir l’ordre, et châtia même les perturbateurs avec une sévérité que l’histoire eût trouvée bien rigoureuse, si les atrocités qui devaient bientôt désoler les Pays-Bas n’en eussent pour ainsi dire effacé le souvenir.

La colère de Philippe II allait enfin éclater. Son parti était pris, il allait renoncer à toute espèce de ménagemens. Cependant il dissimulait encore. La régente le suppliait de venir, par sa présence, calmer les esprits émus, et rendre à l’autorité le prestige qu’elle avait perdu ; elle l’engageait à convoquer les états-généraux pour donner plus de force morale aux dispositions qu’on aurait à prendre. Sur ce dernier point, Philippe II opposa un refus formel à des instances qui étaient en contradiction avec tous ses principes de gouvernement. Il ne repoussa pas d’une manière aussi péremptoire l’idée d’aller lui-même à Bruxelles essayer l’influence directe de la royauté pour vaincre toute résistance, il laissa même croire qu’il se disposait à ce voyage ; mais, sous prétexte de ne paraître aux yeux de ses sujets des Pays-Bas qu’avec l’appareil nécessaire pour se faire respecter, il chargea le duc d’Albe de le précéder avec une petite armée composée de troupes d’élite.

Le duc d’Albe est certainement un des hommes les plus remarquables de son pays et de son temps. Le courage intrépide, l’énergie morale, l’infatigable activité dont la nature l’avait doué, les talens militaires qu’avait développés en lui une longue expérience, l’autorité qu’il savait porter dans le commandement, ses instincts despotiques, son orgueil hautain, tempéré dans l’occasion par un mélange d’astuce et de courtoisie, sa cruauté, ou, pour parler plus exactement, l’indifférence parfaite avec laquelle il versait le sang de ceux qui se rendaient coupables du plus grand des crimes à ses yeux, la résistance au pouvoir, ses qualités comme ses vices, en un mot, faisaient de lui le représentant le plus complet de cette Espagne du XVIe siècle, dont la dure suprématie, destinée à s’évanouir bientôt, pesait alors sur l’Europe et sur le monde. Son rang, ses services, son habileté éprouvée, lui assignaient la première