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peut, bien que cela ne soit nullement prouvé, que parmi ces grands seigneurs, quelques-uns, comme le prince d’Orange, aient conçu de bonne heure la pensée ambitieuse de profiter du mécontentement des peuples pour renverser à leur profit l’autorité royale, il se peut que quelques-uns fussent secrètement favorables au protestantisme, qui, dans beaucoup d’esprits, ne se distinguait pas encore bien nettement de la réforme des abus universellement reconnus de l’ancienne religion ; mais ce qui est certain, c’est que la plupart de ces personnages, tels que l’héroïque comte d’Egmont, absolument étrangers à de telles pensées et aussi fidèles à leurs souverains qu’à la foi dont ils faisaient profession, n’avaient d’autre but, en résistant respectueusement aux volontés du monarque, que de maintenir les lois et les privilèges de leur pays ; c’est qu’ils croyaient lutter moins encore contre le roi que contre un ministre impopulaire, le cardinal Granvelle : la mission qu’acceptèrent successivement plusieurs d’entre eux de se rendre à Madrid pour essayer d’éclairer Philippe II sur la situation, et de ménager ainsi un accommodement, prouve assez quelle était leur bonne foi, quel sentiment ils avaient de leur innocence.

Philippe II espéra long-temps qu’il viendrait à bout de les amener à ses vues, et, tant qu’il conserva cette espérance, il s’abstint d’employer les moyens violens auxquels en général il ne recourait guère qu’après avoir tenté tous les autres, non pas qu’ils répugnassent à sa conscience, mais parce que sa prudence s’en effrayait. Caresses, insinuations, graces, faveurs de toute espèce, rien ne fut épargné pour séduire et pour gagner les chefs de l’opposition. On leur fit même une bien grande concession : le cardinal Granvelle, devenu l’objet de la haine universelle, parce qu’il passait pour l’instigateur du système de gouvernement contre lequel s’élevaient tant de résistances, fut rappelé, et se retira dans son archevêché de Besançon, d’où il ne cessa pas, il est vrai, de correspondre avec le roi sur les affaires dont on venait de lui enlever la direction officielle. Philippe II ne cessait de répéter qu’il ne voulait rien innover, que son seul but était de maintenir les droits de la royauté et de la religion, qu’on lui imputait à tort la pensée d’introduire aux Pays-Bas l’inquisition espagnole, et qu’il voulait seulement arrêter les ravages de l’hérésie en remettant en vigueur des moyens de répression inhérens à la législation locale, mais trop négligés dans les derniers temps.

Au milieu de ces protestations trompeuses qui remplissent la correspondance du roi avec la duchesse gouvernante, l’irritation, l’impatience que lui faisait éprouver la résistance des Flamands, se trahissaient quelquefois avec une vivacité singulière. C’est ainsi que, justifiant le cardinal Granvelle contre les accusations par lesquelles on s’efforçait de le vouer à la haine publique, il disait : « Quant à ce qu’on prétend