l’enivrement de la puissance, est pour eux une sorte d’excuse. Philippe II ne connut ni cette ardeur, ni cette ivresse. Froid, mesuré, maître de lui, assez du moins pour dissimuler ses émotions intérieures, tous ses actes furent le résultat de combinaisons erronées souvent, mais toujours mûrement calculées. Implacable dans ses vengeances, il savait pourtant les différer jusqu’au moment où il croyait pouvoir y donner cours sans compromettre les intérêts de sa politique. L’intolérance religieuse qu’il a poussée certainement plus loin qu’aucun autre souverain, qui semblait même parfois le dominer au point de lui enlever son calme, sa gravité, sa dissimulation habituelle, n’était pas unie en lui à cette austérité de mœurs sans laquelle il est impossible qu’elle n’inspire pas autant de mépris que de haine ; soumis pour son compte aux faiblesses de l’humanité, à celles même que réprouve la morale la moins rigide, il semblait autoriser les esprits sensés et réfléchis à mettre en doute la sincérité du fanatisme qui lui faisait immoler sans pitié tant de victimes.
Ce n’est pas que j’entende l’accuser d’hypocrisie dans le sens absolu de ce mot. En Espagne, au XVIe siècle, tout le monde était croyant, et rien dans le caractère de ce prince n’expliquerait une exception. L’hypocrisie complète est, d’ailleurs, presque aussi rare que l’entière franchise ; mais il en est autrement de cette demi-hypocrisie par laquelle on se trompe soi-même jusqu’à un certain point avant de tromper les autres sur les motifs de ses actions, par laquelle, en donnant satisfaction à ses passions et à ses intérêts, on se persuade et on veut persuader qu’on remplit un devoir et qu’on sert l’intérêt général. C’est là peut-être le principe le plus fécond de nos mauvaises actions, et ce fut celui du cruel fanatisme de Philippe. Convaincu sans doute de la vérité des dogmes du catholicisme, qui, tel qu’on l’enseignait, tel qu’on le pratiquait alors en Espagne, convenait parfaitement à ses principes d’autorité et de pouvoir absolu, détestant tout à la fois dans le protestantisme le crime de l’hérésie et les idées d’indépendance, de libre examen, qu’il avait développées dans une grande partie de l’Europe ; blessé dans son orgueil de voir une partie de ses sujets professer des opinions qu’il repoussait lui-même comme coupables et erronées, il crut ne pouvoir sévir avec trop de rigueur contre des innovations qu’il détestait à tant de titres. Il pensait faire acte de conscience, alors qu’il obéissait simplement à l’impulsion de ses préventions personnelles et de ses mauvais penchans. C’est là, si on y regarde de bien près, le mobile réel de toutes les intolérances, de toutes les persécutions pour opinions. Je me hâte d’ajouter que ce que je donne comme une explication n’est ni une justification ni une excuse : la morale ne se paie pas de quelques sophismes complaisamment admis par nos passions, et lors même qu’on serait assez malheureux pour réussir à s’aveugler complètement, à