chantre d’Iphigénie et d’Armide serait en musique le glorieux représentant : l’auteur de Don Juan et des Noces de Figaro, de la Clémence de Titus et d’Idoménée descend au fond des choses ; pas un détail, pas un trait ne lui échappe, et de cette préoccupation constante du personnage et de la situation résulte une série de caractères faits pour marcher de pair avec les plus réelles, les plus admirables créations du génie des poètes. Si je dis maintenant que l’instrumentation, de son côté, avait tout à gagner à ce système d’analyse et d’observation transporté du roman et du drame dans la musique, peut-être croira-t-on que j’avance un paradoxe, et cependant rien n’est plus vrai. En effet, de ce moment, l’orchestre cesse d’être réduit au simple rôle d’accompagnateur ; une part plus large lui est acquise : il intervient dans l’action, développe et commente les caractères, et d’un besoin nouveau de vie et de variété, de contemplation et de pittoresque, naît la modulation, cette puissance de l’art moderne, ce grand secret des Beethoven et des Weber.
On comprend désormais pourquoi nous avons pu, sans nous éloigner du sujet qui nous occupe, remonter d’une génération le cours des temps, et quelles inductions nos rapprochemens doivent fournir. Dans la symphonie comme dans le drame, Haydn et Mozart ont créé la forme musicale moderne. D’eux seuls toute émancipation procède, et volontiers je les comparerais à ces artistes grecs dégageant de ses voiles sacrés l’Isis égyptienne, pour la faire marcher, blanche et radieuse déesse, sur le sol terrestre où nous vivons. Si l’orchestre a conquis cette indépendance, cette individualité qui lui est propre, si l’abîme instrumental reflète désormais dans ses profondeurs sonores tous les paysages de la nature, tous les phénomènes de la conscience humaine ; si nos passions grondent en lui aussi bien que l’orage, c’est aux efforts combinés du calme et pittoresque génie du peintre des Saisons et de l’ame ardente et sublime du chantre de Don Juan qu’on le doit.
La poésie de la nature et le drame des passions avaient trouvé leur idéal classique ; l’heure du romantisme sonna. Étendre par la rêverie le sentiment du pittoresque, porter jusqu’à l’abstraction transcendantale, jusqu’à la métaphysique, un naturalisme qui menaçait de tourner au descriptif, ce fut l’œuvre de Beethoven. Si nous considérons Beethoven dans ses rapports avec Haydn et Mozart, nous verrons qu’il procède de l’un et de l’autre de ces deux maîtres. Son goût du paysage, certain côté pittoresque de son naturalisme, comme aussi son humour, cet esprit de badine divagation dont est sorti son scherzo, lui viennent d’Haydn, tandis qu’il se rattache à Mozart par la vigoureuse magnificence de son harmonie et son art grandiose d’interpréter les passions. Maintenant cette forme dramatique pressentie par Mozart avec le sublime instinct du génie, supposez-la aux mains d’un maître ayant toute conscience des secrets de son art, et vous avez Weber, grand poète en qui le romantisme