LES FEMMES DU CAIRE. 17
Lane, le consul anglais, raconte dans le sien qu’il a été soumis lui-même à cette nécessité. Bien plus, lisez l’ouvrage de Maillet, le consul-général de Louis XIV, vous verrez qu’il en était de même de son temps ; il faut vous marier. — J’y ai renoncé. La dernière femme qu’on m’a proposée m’a gâté les autres, et malheureusement je n’avais pas assez en mariage pour elle. — C’est différent. — Mais les esclaves sont beaucoup moins coûteuses : mon drogman m’a conseillé d’en acheter une et de l’établir dans mon domicile. — C’est une idée. — Serai-je ainsi dans les termes de la loi ? — Parfaitement.
La conversation se prolongea sur ce sujet. Je m’étonnais un peu de cette facilité donnée aux chrétiens d’acquérir des esclaves en pays turc : on m’expliqua que cela ne concernait que les femmes plus ou moins colorées ; mais on peut avoir des Abyssiniennes presque blanches. La plupart des négocians établis au Caire en possèdent. M. Clot-Bey en élève plusieurs pour l’emploi de sages-femmes. Une preuve encore qu’on me donna que ce droit n’était pas contesté, c’est qu’une esclave noire, s’étant échappée récemment de la maison de M. Lubbert, lui avait été ramenée par la police.
J’étais encore tout rempli des préjugés de l’Europe, et je n’apprenais pas ces détails sans quelque surprise. Il faut vivre un peu en Orient pour s’apercevoir que l’esclavage n’est là en principe qu’une sorte d’adoption. La condition de l’esclave y est certainement meilleure que celle du fellah ou du rayah libres. Je comprenais déjà en outre, d’après ce que j’avais appris sur les mariages, qu’il n’y avait pas grande différence entre l’Égyptienne vendue par ses parens et l’Abyssinienne exposée au bazar.
Les consuls du Levant diffèrent d’opinion touchant le droit des Européens sur les esclaves. Le code diplomatique ne contient rien de formel là-dessus. Du reste, la France, qui a des colonies à esclaves, ne peut empêcher ses nationaux de jouir des droits que leur concède la législation orientale. Notre consul m’affirma du reste qu’il tenait beaucoup à ce que la situation actuelle ne changeât pas à cet égard, et voici pourquoi. Les Européens ne peuvent pas être propriétaires fonciers en Égypte, mais, à l’aide de fictions légales, ils exploitent cependant des propriétés, des fabriques ; — outre la difficulté de faire travailler les gens du pays, qui, dès qu’ils ont gagné la moindre somme, s’en vont vivre au soleil jusqu’à ce qu’elle soit épuisée, ils ont souvent contre eux le mauvais vouloir des cheicks ou de personnages puissans, leurs rivaux en industrie, qui peuvent tout d’un coup leur enlever tous leurs travailleurs sous prétexte d’utilité publique. Avec des esclaves, du moins, ils peuvent obtenir un travail régulier et suivi, si toutefois ces derniers y consentent, car l’esclave mécontent d’un maître peut toujours le con-
TOME XV. 2