à rendre l’idée chrétienne d’un Dieu incréé. Si l’antiquité avait eu recours à l’art plastique pour se représenter ses dieux, c’est que les dieux de l’antiquité ne cessaient d’affecter la forme et les passions humaines ; mais, à une époque de détachement terrestre et de contemplation mystique, il fallait, pour interprète, un art ayant l’infini pour objet, un art dont l’élément même est insaisissable, la musique. L’œuvre du statuaire a de la consistance et sait en quelque sorte enchaîner sous nos yeux la forme humaine, le statuaire même, alors qu’il idéalise, n’en reproduit pas moins des types sensibles ; le son, au contraire, n’imite rien, il s’exhale et s’évanouit ; il est fugitif et transitoire comme la vie de l’homme. Lorsqu’il appelait le romantisme un beau sans limites, Jean-Paul trouvait peut-être la plus heureuse définition de cet art, dont l’essence repose dans une éternelle aspiration qui pousse l’homme au-delà de sa sphère, au-delà du cercle borné de ses connaissances, et l’entraîne à la recherche d’un idéal inaccessible. Or, quel art mieux que la musique eût jamais rendu le caractère de ce pressentiment divin ? Je ne sais, mais il me semble que l’idée chrétienne, en même temps qu’elle crée le romantisme et la musique, développe aussi chez les autres arts des ressources individuelles avant pour but l’expression de cet amour de l’infini qui désormais possède l’humanité ; ainsi, dans la peinture, la perspective et le clair-obscur. Quoi qu’il en soit, l’art romantique est musical de sa nature, et je ne suppose point qu’il existe en musique de chef-d’œuvre digne de ce nom dont le romantisme n’ait à son tour fourni le fonds.
Le règne des sons commence où finit le règne de la parole. De là l’irrésistible attrait qu’exerce la musique sur les ames altérées de la soif de l’infini, sur ces natures féminines qu’un besoin de rêverie tourmente sans relâche ; de là aussi l’espèce d’éloignement qu’éprouvent à son endroit les esprits positifs, les penseurs. À ce compte, la musique ne pouvait accomplir ses destinées dans l’antiquité ; tous ces Grecs de Corinthe et, d’Athènes étaient gens trop plastiques, trop sensuels pour elle. La musique appartient à l’idéal romantique moderne, un hégélien dirait à l’idéal subjectif. Prenez Beethoven, le maître des maîtres en ce spiritualisme transcendant ; tentez de le suivre en ses divagations sublimes, et vous verrez où il s’arrêtera. Chez le divin chantre des symphonies, en effet, cette aspiration domine tout, la forme elle-même ne le contient plus ; s’il ne la brise pas, du moins en use-t-il avec elle aussi librement qu’il le peut. Et dire avec cela que Beethoven relève de la tradition de Bach, qu’il se rattache à ce grand cycle ouvert par l’immortel organiste ! Remarquez cependant comme les extrêmes se touchent ; après tout, peut-être n’y a-t-il ici d’extrêmes que les apparences. Le génie du christianisme aura-t-il donc manqué à sa mission divine pour s’être élancé du sein des cathédrales vers les hauts sommets de la