simple : à de certaines idées sur Dieu, sur l’ame, sur sa destinée, il a substitué d’autres idées. En d’autres termes, à une certaine métaphysique, il a substitué une autre métaphysique. Qu’importe ici la forme des idées ? C’est des idées elles-mêmes qu’il s’agit. Eh bien ! les idées du christianisme sur l’incarnation et la rédemption sont des idées métaphysiques, et ce sont ces glorieuses idées qui ont sauvé le monde au Ve siècle, et qui ont fait la société moderne.
De cette révolution qu’on appelle le christianisme, je passe à une révolution bien différente, celle qui a changé la face de l’Europe il cinquante années. S’imagine-t-on que la métaphysique n’y ait eu aucune part ? On dira sans doute que le siècle qui a vu la révolution française a été un siècle de réaction contre la métaphysique. J’en conviens tout le premier ; mais il faut bien s’entendre. Sans doute il y a beaucoup de scepticisme au XVIIIe siècle ; mais je le vois à la surface beaucoup plus qu’au fond. La métaphysique y paraît fort décriée ; en réalité, nul siècle n’a eu plus de foi dans les idées. Ce n’est pas tant à la métaphysique en soi que le XVIIIe siècle déclare la guerre qu’à une certaine métaphysique. Et à laquelle ? à celle qui lui paraissait un appui pour des pouvoirs ennemis, un obstacle au triomphe des idées nouvelles, la métaphysique spiritualiste. Il n’est donc pas si facile de se passer de métaphysique ; soit qu’on veuille organiser, soit qu’on veuille détruire, il faut s’adresser à elle. Sous une forme ou sous une autre, c’est elle qui mène le monde, et on ne saurait faire à l’esprit humain un plus gratuit et plus mortel outrage que de soutenir qu’elle est condamnée à des agitations sans fin.
La philosophie positive a hérité à la fois des préjugés du XVIIIe siècle contre certains systèmes, et de son goût secret et passionné pour d’autres systèmes fort connus. À ne croire qu’aux apparences, MM. Comte et Littré semblent parfaitement neutres entre les différens systèmes. Comment choisiraient-ils le spiritualisme de préférence au matérialisme, ou le théisme plutôt que son contraire ? Ces systèmes sont les solutions opposées de problèmes insolubles. Matière, esprit, atomes, ame, Dieu, purs fantômes de l’imagination, qui fait ou défait ses toiles d’araignées au-delà de l’enceinte de la raison. Entre Platon et Épicure, entre Descartes et Gassendi, on peut rester indécis comme entre deux compositions romanesques ou entre deux genres de musique. Voilà une indifférence bien superbe et bien dédaigneuse ; au moins faudrait-il y rester fidèles. Or, je soutiens que MM. Comte et Littré sont loin d’être indifférens entre les systèmes : non que je doute assurément de la parfaite sincérité de leurs déclarations ; mais ils ont adopté à leur insu une métaphysique, et en conscience je ne puis les féliciter de leur choix. À vouloir ranimer l’esprit du XVIIIe siècle, ils pouvaient choisir ou le noble