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les sciences mathématiques, physiques et naturelles, et d’en exposer les méthodes et les grands résultats avec une si entière clarté. Père de la philosophie positive, M. Comte met à l’exposer et à la défendre un zèle, une constance, un enthousiasme, qui lui font le plus grand honneur. M. Littré se réduit en philosophie au rôle de disciple. Physiologiste distingué, habile linguiste, le savant interprète d’Hippocrate, avec tant de titres pour parler en son propre nom, semble prendre soin de s’effacer devant le chef de l’école. Certes, ce n’est pas un médiocre honneur pour M. Auguste Comte d’avoir conquis un tel esprit, d’avoir rencontré un si habile et si brillant interprète. Si la philosophie positive avait un penseur, il lui manquait un écrivain ; elle l’a trouvé dans M. Littré[1].


II.

Commençons par rendre pleine justice à la classification des sciences proposée par le fondateur de l’école positive. Si M. Comte, bornant son horizon, eût entrepris simplement de classer les sciences de la nature, on n’aurait qu’à le féliciter d’avoir si heureusement réussi. L’ordre où il dispose les sciences, remarquable de simplicité, ne manque ni de lumière, ni de largeur ; j’y goûte surtout un mérite trop rare en de pareils travaux, c’est que les rapports naturels des sciences y sont fidèlement conservés, et qu’on a su sacrifier à cet éminent avantage la régularité aisée et puérile d’une classification artificielle.

De sérieux esprits considèrent avec quelque dédain les travaux de classification. Ce mépris ou cette indifférence me semblent injustes, et l’histoire de l’esprit humain ne les justifie nullement. Il est digne de remarque en effet qu’à toutes les époques les plus florissantes de la philosophie, de grands travaux de classification se sont accomplis. Il me suffira d’en rappeler rapidement trois, celui d’Aristote, celui de saint Thomas et celui de Bacon.

Lorsque les sciences prirent naissance en Grèce, toutes étaient mêlées dans une unité confuse. Les Thalès et les Parménide écrivaient avec une naïveté admirable sur l’Être ou sur la Nature des Choses. C’étaient les titres de leurs poèmes : véritables poèmes en effet où l’imagination avait assurément plus de part que l’expérience. À mesure que les sciences étendirent leurs recherches et que les faits et les idées vinrent à s’y accumuler, elles tendirent à se séparer, bientôt même à s’isoler les unes des autres.

  1. Voyez dans ce recueil même le bel article de M. Littré sur la physiologie (Revue du 15 avril 1846). La liberté que laisse la Revue à toutes les discussions élevées nous a permis de le combattre ; elle ne nous interdit pas de l’admirer.