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de l’algébriste, la nature n’est qu’un système de grandeurs ; c’est le plus haut degré où l’abstraction puisse monter. Depuis les premiers tâtonnemens de la science mathématique au berceau jusqu’aux sublimes inventions des Descartes, des Leibnitz, des Lagrange, jusqu’aux merveilles du calcul infinitésimal et du calcul des variations, l’objet a toujours été le même : déterminer des grandeurs.

Quittez ces abstractions, faites un premier pas vers la nature, la grandeur se détermine vous rencontrez l’étendue et bientôt le mouvement. L’étendue, dans ses déterminations et ses lois universelles, voilà l’objet de la géométrie ; le mouvement, considéré d’une manière abstraite, voilà l’objet de la mécanique rationnelle.

Bien que l’étendue soit déjà plus déterminée que la grandeur pure, bien que le mouvement, s’ajoutant à ces idées, en accroisse la complexité, nous n’avons encore considéré que des faits très simples, très généraux, et pour ainsi dire abstraits. Au lieu de concevoir l’étendue et le mouvement d’une manière générale, suivez-vous à travers l’étendue des cieux les courbes qu’y décrivent les astres, vous passez de la géométrie pure et de la mécanique rationnelle à l’astronomie.

L’astronomie embrasse tous les mondes ; mais, si son objet est immense, elle ne l’atteint que de loin et ne le considère que par le dehors. Descendez sur terre, les objets ne se dérobent plus à l’observation ; vous pouvez les saisir et les soumettre à tous les procédés de l’expérience. C’est l’objet de la physique, moins vaste que l’astronomie, moins sévère dans ses méthodes, moins sûre dans ses calculs, mais plus riche et pénétrant plus avant dans l’intimité des choses.

La chimie va plus loin encore. Les phénomènes que le physicien envisage ne sont jamais assez profonds pour altérer la constitution des êtres. Lavoisier et Berthollet prétendent nous expliquer ces affinités mystérieuses, ces brusques transformations, ces décompositions soudaines qui donnent tant de variété à la face de l’univers.

Nous avons atteint les limites de l’observation au sein de la nature morte. Arrivée au premier degré de l’échelle des êtres vivans, la chimie s’arrête et cède la place à la physiologie. La science de la vie est la plus riche des sciences, et aussi la plus imparfaite. A mesure qu’elle s’élève, elle rencontre des faits plus compliqués. L’organisation s’enrichit, se perfectionne et se diversifie. A la nutrition et à la reproduction s’ajoute la sensation, à la sensation l’intelligence, à celle-ci la raison et la volonté. Sur la base de la physiologie végétale s’élève la physiologie animale ; sur toutes deux repose la physiologie de l’homme.

L’homme est sociable ; la société ne détruit pas sa nature, mais elle en modifie les lois. Par le seul fait de la vie commune se développent des phénomènes qu’aucune induction physiologique n’aurait pu faire pressentir. De là une science nouvelle, la physiologie sociale, qu’ébauchèrent