plus bouffonnes, Molière n’avait qu’assez peu exagéré le ridicule du cérémonial usité pour la prise de possession du bonnet doctoral, surtout dans la faculté de Montpellier. M. Aimé Martin a confirmé cette opinion par un curieux passage du philosophe Locke, qui, se trouvant à Montpellier en 1676, trois ans seulement après la mort de Molière, écrivait les lignes suivantes : « Recette pour faire un docteur en médecine. Grande procession de docteurs habillés de rouge, avec des toques noires. Dix violons jouent des airs de Lulli. Le président s’assied, fait signe aux violons qu’il veut parler, et qu’ils aient à se taire ; il se lève, commence son discours par l’éloge de ses confrères, et le termine par une diatribe contre les innovations et la circulation du sang. Il se rassied. Les violons recommencent. Le récipiendaire prend la parole, complimente le chancelier, complimente les professeurs, complimente l’académie. Encore les violons. Le président saisit un bonnet qu’un huissier porte au bout d’un bâton et qui a suivi processionnellement la cérémonie, coiffe le nouveau docteur, lui met au doigt un anneau, lui serre les reins d’une chaîne d’or, et le prie poliment de s’asseoir. Tout cela, ajoute le grave Locke, m’a fort peu édifié[1]. » Cela, tout au contraire, nous édifie beaucoup, car cela nous montre quel esprit de loyale observation Molière apportait dans le dessin et l’exécution de ses farces même les plus folles. Ici le grotesque de la fiction ne surpasse guère le grotesque de la réalité, et l’on a pu dire avec raison de cette parodie que tout y est vrai, jusqu’aux violons.
Au rapport de plusieurs écrivains du XVIIe siècle, le cadre bouffon imaginé par Molière fut rempli en société, chez Mme de la Sablière, dans un dîner où se trouvaient Ninon, Chapelle, Despréaux, La Fontaine et quelques autres convives dignes d’un tel cercle. Chacun y mit son mot. Il est bon de dire en passant que la maîtresse du logis, la belle Sablière, pour parler comme Mme de Sévigné, aurait fort bien pu mettre du sien dans une composition d’une latinité plus correcte, car Corbinelli loue cette charmante personne d’entendre Horace comme le comte de Bussy-Rabutin et lui entendaient Virgile. Le canevas fut donc bientôt rempli, et même au-delà des besoins du théâtre. Molière l’abrégea, comme on peut s’en assurer par le texte imprimé sous ses yeux. En effet, si, par les motifs que nous avons indiqués, la pièce ne fut livrée que plus tard à l’impression, il n’en fut pas de même du prologue et des intermèdes. Il était d’usage alors de mettre, comme aujourd’hui, à la disposition des spectateurs le programme des ballets et des parties chantées, pour faciliter l’intelligence du sujet et des paroles. Aussi le prologue et les intermèdes du Malade imaginaire, dont Charpentier avait composé la musique, furent-ils imprimés sous la forme ordinaire, petit in-4o, une première fois en 1673, chez Christophe Ballard, seul imprimeur du roi pour la musique, et une seconde fois pour la représentation de Versailles du 19 juillet 1674, chez Guillaume Adam, libraire et imprimeur ordinaire de la troupe du roi. Ces deux impressions présentent dans le prologue et les deux premiers intermèdes des variantes assez importantes qui ont échappé à tous les éditeurs, même à M. Auger, très soigneux pourtant sur ce point[2].