Cet empressement de se porter garant de l’avenir ne dénote-t-il pas plus d’inquiétude que de sécurité ?
La retraite de sir Robert Peel sera exceptionnelle et triomphante. Il tombera au milieu des hommages de ses adversaires. Les chefs des whigs et des radicaux le défendent contre les agressions amères de ceux qui se sont déclarés ses ennemis personnels, comme lord Bentinck et M. Disraëli. On reconnaît, on proclame qu’il a rendu à son pays le plus signalé service par l’adoption du bill des corn-laws, et qu’il a su, en six mois, accomplir une révolution économique d’une immense portée. A cette occasion, pour compléter les titres de sir Robert Peel à la reconnaissance de l’Angleterre, on a rappelé l’émancipation des catholiques. Voilà de grands actes. Quant à l’homme même, il est dans sa destinée d’être l’objet des jugemens les plus opposés. Les uns loueront la hardiesse, la constance, la fierté, avec lesquelles il a su marcher à des résultats qu’il a crus les meilleurs pour son pays, brisant tous les obstacles, foulant aux pieds toutes les répugnances, tous les préjugés, tous les scrupules du parti qui l’avait mis à sa tête. Cette conduite, admirable aux yeux de plusieurs, sera réprouvée par d’autres ; ceux-là dénonceront à la postérité sir Robert Peel comme le fléau du grand parti qui jusqu’à présent avait été le gardien des destinées et des traditions de la vieille Angleterre, et pour eux l’audacieux réformateur ne sera qu’un traître. Il est incontestable que sir Robert Peel a atteint un grand but par des moyens que l’opinion avait jusqu’alors condamnés en Angleterre. Il a bravé tous les principes qui jusqu’à présent de l’autre côté du détroit constituaient la religion politique. Par lui, le type consacré de l’homme politique anglais se trouve profondément altéré. Avec lui, commencent des allures et des idées nouvelles. Il faut bien que, dans la difficile entreprise d’éviter une révolution sociale, le caractère anglais se transforme.
Telle est au surplus la situation complexe des partis, qu’on peut se demander si, même après avoir perdu la majorité sur le bill de coercition, sir Robert Peel n’aurait point encore assez de forces disponibles pour garder le pouvoir. En effet, ce ne sont pas seulement les fidèles, les janissaires, qui sont demeurés à leur poste ; une bonne portion des whigs s’est abstenue pour ne pas concourir à la chute d’un ministère qui a pratiqué leurs doctrines ; les violences de lord Bentink et Disraëli n’ont entraîné parmi les tories qu’un nombre de défectionnaires assez grand pour former un appoint décisif, trop faible pour représenter un parti. Dans l’état des choses, la fortune de sir Robert Peel pourrait donc ne pas sembler encore si désespérée ; les whigs, en prenant le pouvoir, seraient obligés de s’appuyer sur les ultra-tories, comme le ministère conservateur s’appuyait sur les whigs ; le gouvernement ne ferait ainsi que changer d’alliances périlleuses, et l’on ne saurait prévoir de quel côté de nouvelles élections porteraient maintenant plus de solidité. Il paraîtrait aussi que la reine, soit d’elle-même, soit par déférence pour des conseils qu’elle reçoit, dit-on, volontiers, désire la continuation du statu quo, et répugne aux hasards d’une crise ministérielle ; il ne faudrait point trop s’étonner qu’elle préférât la dissolution du parlement à celle du cabinet. Enfin l’on nous écrit de Londres qu’il règne dans tous les esprits une tranquillité dont on n’avait jamais vu d’exemple en pareille occasion. L’excitation publique est tombée ; elle a été remplacée par une sorte d’affaissement ;