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L’électorat, tel qu’il est constitué par les lois organiques qui se sont succédé depuis 1814, et notamment par la loi du 19 avril 1831, est l’objet de vives critiques et d’attaques passionnées. Tout n’est pas fondé dans ces agressions et ces censures, qui partent des côtés les plus opposés ; néanmoins il y a des enseignemens utiles à y prendre. On reproche au système actuel un fractionnement excessif des forces électorales : on dit que, disséminés en trop petites phalanges, les électeurs perdent de vue l’intérêt général, et l’image même de la France, pour ne plus apercevoir que leur clocher. Que de choix n’ont déjà que trop justifié cette plainte ! Si donc, au lieu de s’arrêter sur cette pente, on s’y précipite, ne sera-t-il pas démontré que la division par arrondissemens est mauvaise, stérile ? et voilà le système actuel menacé d’un changement radical, qui serait la nomination de tous les députés d’un département au chef-lieu. Le système actuel compte de nombreux partisans, il a déjà pour lui une longue pratique, il a créé des habitudes, des mœurs électorales, il a enfin certains avantages. Cependant, si des inconvéniens graves étouffaient le bien que ce système, peut produire, s’il était prouvé qu’à force de vouloir éviter tout ce qui peut favoriser et surexciter les passions des partis, c’était la vie politique du pays que le législateur avait frappée de prostration, de langueur, n’y aurait-il pas à prévoir et à craindre une réaction formidable, qui viendrait, avec une brusquerie irrésistible, substituer à ce qui existe aujourd’hui d’autres idées et d’autres principes ?

On comprend dans quel sens nous parlons ici aux électeurs de leur intérêt c’est un intérêt qu’on peut avouer, proclamer tout haut, car il est général. Il importe non moins au pays qu’au corps électoral que les institutions actuelles ne soient pas convaincues d’impuissance politique. L’électorat, qui, dans un mois, exercera sa souveraineté, est chargé devant le pays d’une responsabilité grave et directe ; avec ses trois ou quatre cent mille électeurs, il concentre en lui seul, il représente, il absorbe les droits de tous, et tous lui demandent nécessairement compte de ses actes. La responsabilité des électeurs devant le pays n’est pas officielle, comme celle des ministres devant les chambres ; elle n’est pas aussi visible que celle des députés devant leurs commettans : toutefois elle n’est pas moins réelle, et elle a des conséquences qui, pour être plus lentes, ne sont pas moins certaines. Le jour où il arriverait que l’opinion, non pas celle d’un parti, mais la véritable opinion de la France, se mettrait à se plaindre tout haut du corps électoral, il n’y a pas de résistance, si entêtée qu’on la suppose, qui pût empêcher une réforme. Au reste, les électeurs peuvent se féliciter aujourd’hui des circonstances au milieu desquelles ils vont se réunir. Ils ne sont pas en face d’une démocratie ardente qui les trouble, les intimide ou les enflamme par des exigences passionnées. La France est calme ; elle ne demande pas aux électeurs de se dévouer aveuglément soit au ministère, soit à un parti. Son vœu comme son intérêt est de voir sortir des élections de 1846 une chambre sage et politique, dont la composition ne fournisse pas de nouveaux argumens à ceux qui veulent innover dans nos lois organiques, et dont l’esprit puisse faire face aux conjonctures difficiles que l’avenir peut amener.

La composition de la chambre a été l’objet, dans cette dernière session, d’une ingénieuse et redoutable analyse. Un grand nombre de fonctionnaires siègent sur les bancs du Palais-Bourbon ; peut-être il y en a trop ; à coup sûr, il n’en faut