des exemples en dehors de la durée du cabinet actuel, et pour ne nous arrêter qu’à la dernière manifestation faite au sein du parlement par ces opinions intermédiaires, n’avons-nous pas vu, il y a dix-huit mois, le ministère au moment de se retirer, non pas devant le triomphe des principes de la gauche, mais devant l’abandon d’une fraction de la majorité ? Que d’efforts, que de sacrifices, pour nous servir de l’expression de M. le ministre des affaires étrangères ; n’a-t-il pas fallu au cabinet pour rallier une majorité divisée, inquiète, mécontente ! En faisant mouvoir tous les ressorts, on y est laborieusement parvenu ; mais, pour cela, on n’a pas anéanti des opinions, des sentimens qui sont le résultat d’une sincère et profonde.
Ce n’est pas toujours dans les évolutions parlementaires qu’il faut chercher l’expression fidèle de ce que le pays pense ou désire ; on doit plutôt contrôler ces évolutions par une observation attentive de ce qui se passe en dehors du parlement. Au début de cette session, le centre gauche et la gauche ont pris la résolution d’agir et de voter de concert. Si par là ces deux partis constitutionnels n’ont voulu qu’imprimer à leur action plus d’ensemble et de force, cette entente n’a rien que de légitime. Il y a des questions nombreuses sur lesquelles, au point de vue de la lutte contre le cabinet, le centre gauche et la gauche sont naturellement d’accord. Seulement, si, dans l’esprit de quelques personnes, cette entente devait aller plus loin, jusqu’à la confusion des sentimens et des principes que représentent les deux partis, elle donnerait, ainsi comprise, un démenti à la vérité et à l’attente du pays. Les différences qui séparent le centre gauche de la gauche sont nées depuis dix ans de la nature des choses : elles sont essentielles, elles ne sauraient disparaître par un mouvement de stratégie parlementaire. Ce ne serait même pas sans un détriment véritable pour l’importance de chacun des deux partis qu’on travaillerait à abolir ce qui les distingue, ce qui les caractérise. Une des causes les plus certaines de la puissance politique, c’est la sincérité.
Dans un pays constitutionnel, les élections générales doivent être le moment de la vérité sur les choses et pour les hommes. Le corps électoral, cette autorité souveraine et intermittente qui, tous les trois ou quatre ans, exerce dans les affaires une intervention décisive, doit s’élever au-dessus des suggestions contradictoires du pouvoir et des partis, pour rendre à chacun bonne justice. Voilà l’idéal politique ; jusqu’à quel point les faits s’en éloigneront-ils ? Nous ne voudrions apprécier l’état moral du pays ni avec des illusions naïves, ni avec un sombre pessimisme. Nous ne dissimulons pas la part considérable, la part trop grande qu’auront dans les élections les intérêts privés. On sentira infailliblement, dans les élections de 1846, le contre-coup des tendances et des convoitises qui, depuis deux ou trois ans surtout, sont si puissantes sur notre société. L’enceinte électorale ne sera que trop souvent envahie par cet esprit spéculateur, par ce génie d’exploitation, qui sont un des caractères de notre temps. Toutefois, en raison de la sécurité profonde au milieu de laquelle les électeurs choisiront les représentans du pays, il y a des chances pour que les véritables besoins de la France soient pris à leur tour en quelque considération. La raison, la vérité, pourront avoir leurs momens d’audience. D’ailleurs, dans une époque où tout se résout en intérêts, n’y a-t-il pas, pour le corps électoral, un intérêt réel et puissant à faire preuve d’intelligence politique dans l’exercice de son droit souverain ? Voici notre pensée.