juger que d’après ses œuvres ; quant aux facultés qu’il n’a pas eu l’occasion de révéler, elles sont pour nous comme non avenues, et il nous est défendu d’en tenir compte. Or, jusqu’ici il n’a pas prouvé qu’il fût capable d’inventer une composition vraiment dramatique dans l’acception la plus vivante de ce mot, et la manière dont il vient de nous représenter Jésus portant sa croix nous confirme dans l’opinion que nous avions sur la nature générale de son talent. Je lui sais bon gré d’avoir évité avec soin tout ce qui pouvait rappeler l’admirable Spasimo de Raphaël ; mais, en fuyant l’imitation, il n’a pas rencontré l’originalité. Le personnage principal, Jésus, laisse beaucoup à désirer ; la tête exprime trop exclusivement la douleur, et le spectateur cherche vainement sur le visage divin l’enthousiasme et la résignation qui donnent au sacrifice accompli sur le Golgotha un caractère surnaturel. Ce n’est pas tout : les plis droits et symétriques du vêtement ne traduisent pas la forme du corps, ce qui est un défaut très grave dans les compositions chrétiennes aussi bien que dans les compositions païennes. Une partie de ces critiques s’applique également au second personnage, à la vierge Marie. Le visage de la vierge-mère est assurément très supérieur, sous le rapport de l’expression, au visage de Jésus ; mais le vêtement ne laisse pas deviner assez clairement la forme du corps. Ici, je le sais, il fallait craindre, en donnant à l’étoffe trop de souplesse, d’imprimer à la figure de la Vierge un caractère de beauté païenne. Toutefois je pense qu’il eût été possible d’éviter cet écueil sans effacer, comme l’a fait M. Flandrin, la forme des cuisses, du ventre et des hanches. L’expression du saint Jean est ce qu’elle devait être. Les soldats romains qui escortent le condamné offrent le type d’insensibilité qui convient a de tels personnages ; malheureusement la foule qui les suit ne présente pas une assez grande variété de physionomies. Je comprends les formes vulgaires données par M. Flandrin aux deux larrons qui précèdent Jésus ; mais pourquoi ces formes se reproduisent-elles avec une désespérante uniformité dans la foule qui les accompagne ? À cette question, je ne crois pas qu’il soit possible de faire une réponse victorieuse, une réponse qui impose silence à la critique. Il y a certainement dans l’ensemble de cette composition beaucoup de savoir et d’habileté ; mais, pour donner aux physionomies l’individualité, la variété qui leur manquent, le savoir et l’habileté ne suffisaient pas.
Au-dessus de Jésus portant sa croix, M. Flandrin a placé les vertus morales : la force, la justice, la prudence. Pour obéir aux divisions de l’architecture, il a dû ajouter la figure de la clémence. Toutes ces vertus, ou, si l’on veut, toutes ces idées, sont très nettement caractérisées. Les draperies sont ajustées avec une rare élégance, les attitudes bien choisies. On sent dans chacune de ces figures la main et la pensée d’un homme qui a long-temps étudié au Vatican. C’est de la bonne peinture simple et