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compris et très habilement rendu les sentimens qui ont dû animer les personnages de cette scène.

Au-dessus de cette vaste composition, M. Flandrin a placé les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité ; et, comme les divisions de l’architecture exigeaient une quatrième figure, il a dû se résigner à grossir la liste des vertus théologales en y ajoutant l’humilité. Quelle que soit la hardiesse de cette création inattendue, nous n’avons pas à nous en occuper. Contentons-nous de dire que ces quatre figures expriment très bien, très nettement, avec une exquise élégance, la pensée de l’auteur. Les têtes sont graves sans emphase, les draperies bien ajustées, et l’expression des physionomies offre une heureuse variété. Au-dessus des vertus théologales se trouvent trois portraits choisis parmi les souverains qui ont contribué à la fondation de l’abbaye, ou qui l’ont enrichie. La figure placée à la droite du spectateur est celle d’une jeune reine, qui, selon l’usage consacré par les artistes du moyen-âge, porte dans sa main le modèle de l’église. Il y a, dans cette gracieuse figure, un charme, une sérénité, un calme angélique. Ses grands yeux noirs ombragés de longs cils, l’ovale de son visage encadré par deux nattes qui se relèvent au-dessus de l’oreille, son beau front où se réfléchit la paix profonde de son ame, sa taille fine et souple comme un roseau, la draperie ample et majestueuse qui enveloppe son beau corps, tout concourt à l’effet de cette délicieuse figure. Il est impossible de la contempler sans l’aimer, sans y rêver long-temps. C’est à mon avis un des types les plus parfaits que la peinture puisse offrir à la pensée. Jusqu’à présent, M. Flandrin n’avait rien produit encore qui nous permît d’espérer une si charmante création. La figure de saint Germain, placée au sommet de cette muraille, est bien conçue, mais n’est peut-être pas rendue avec toute la précision que nous pourrions souhaiter. Le raccourci des cuisses ne me semble pas assez nettement accusé. Le saint est assis, et la manière dont le vêtement est disposé ne permet pas de comprendre assez clairement la forme du modèle. Je veux croire que le costume choisi par M. Flandrin est d’une exactitude littérale ; mais je préférerais de grand cœur que le peintre eût un peu triché pour donner à la figure plus d’élégance. Le saint Germain dont je parle ressemble trop aux portraits que nous a laissés l’art gothique. Cela peut être parfaitement vrai, je ne le conteste pas ; j’aimerais mieux pourtant une vérité moins scrupuleuse, et en revanche un peu plus de beauté.

Jésus portant sa croix offrait à M. Flandrin de plus graves difficultés que l’Entrée de Jésus à Jérusalem, et ne s’accordait pas aussi bien avec la nature de son talent. Cette scène en effet, l’une des plus belles que la peinture puisse se proposer, exige une énergie, une puissance dramatique que M. Flandrin ne paraît pas posséder. Nous ne pouvons le