la manière de l’école romaine au commencement du XVIe siècle, il n’a pas redouté le reproche de paganisme, et, selon nous, c’est de sa part une preuve de bon sens. Il y a aujourd’hui des peintres qui, ne comprenant pas la véritable signification de l’histoire, n’hésitent pas à voir dans Raphaël un type de corruption, et croient à la nécessité impérieuse de traiter tous les sujets catholiques d’après le conseil exclusif de Giotto et de Fra-Angelico. C’est un enfantillage qui ne mérite pas d’être discuté. S’il s’agit en effet du sentiment qui anime les compositions de ces deux maîtres illustres, rien de mieux que de les prendre pour modèles ; mais, si l’on prétend établir en maxime que le dessin, tel que le pratiquaient Giotto et Fra Angelico, est ce qu’il doit être, et qu’on ne saurait l’altérer, le modifier sans profanation, il ne faut pas perdre son temps et ses paroles à réfuter de pareilles hallucinations. Giotto est à Raphaël ce que Palestrina est à Beethoven. Dire que Raphaël a corrompu le goût inauguré par Giotto, ou dire que Beethoven a eu tort de ne pas s’en tenir aux accords et aux modulations connus de Palestrina, c’est une seule et même chose. Il suffit d’énoncer de pareilles propositions pour en faire justice. M. Hippolyte Flandrin a voulu concilier le sentiment catholique de Giotto avec la science païenne de Raphaël. C’est là une tentative que nous approuvons hautement. Jusqu’à quel point a-t-il réussi ? Telle est la question qui se présente naturellement, et, s’il ne nous est pas donné de la résoudre avec une rigueur absolue, au moins essaierons-nous de présenter une solution approximative. Dans la composition qui a pour sujet l’entrée de Jésus-Christ à Jérusalem, les figures du Sauveur et de ses disciples sont traitées avec une rare intelligence. L’expression de mansuétude qui règne sur le visage du Christ, le mélange de soumission et de joie qui caractérise les apôtres, révèlent chez M. Flandrin l’étude approfondie et la connaissance complète des conditions qui il avait à remplir. Cette partie de la scène mérite les plus grands éloges. La foule qui accueille avec une joie respectueuse l’arrivée du Sauveur offre un ensemble varié d’épisodes bien conçus. Peut-être serait-il permis de souhaiter, dans le dessin des femmes et des enfans, un peu plus d’élégance et de grace. Les femmes me paraissent avoir une énergie un peu virile, et les enfans ne perdraient rien à ressembler un peu moins à des athlètes en miniature. L’architecture, qui rappelle des compositions chrétiennes de Raphaël et du Poussin, pourra bien ne pas sembler assez orientale aux hommes du métier ; mais je l’avouerai franchement, je ne saurais voir là un grave sujet de reproche. Sans méconnaître l’importance de la vérité historique dans les compositions poétiques, je crois qu’il faut s’attacher surtout à la vérité humaine, à la vérité qui est de tous les temps et de tous les lieux. Or, dans l’œuvre que j’analyse, il me semble que M. Flandrin a merveilleusement
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