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10 REVUE DES DEUX MONDES.

— Comment vivent-ils dans ce cas-là ? — On vit de si peu de chose ici. Au besoin, ne trouvent-ils pas toujours des fruits ou des légumes à voler dans les champs ? Le gouvernement a bien de la peine à faire exécuter les travaux les plus nécessaires ; mais, quand il le faut absolument, on fait cerner un quartier ou barrer une rue par des troupes, on arrête tous les gens qui passent, on les attache et on nous les amène, voilà tout. — Quoi ! tout le monde sans exception ? — Oh ! tout le monde ; cependant, une fois arrêtés, chacun s’explique. Les Turcs et les Francs se font reconnaître. Parmi les autres, ceux qui ont de l’argent se rachètent de la corvée, plusieurs se recommandent de leurs maîtres ou patrons. Le reste est embrigadé et travaille pendant quelques semaines ou quelques mois, selon l’importance des choses à exécuter.

Que dire sur tout cela ? L’Égypte en est encore au moyen-âge. Ces corvées se faisaient autrefois au profit des beys mamelouks. Le pacha est aujourd’hui le seul suzerain ; — le massacre des Mamelouks a supprimé le servage ; c’est bien quelque chose déjà.

III. — LES KHOWALS.

Après avoir déjeuné à l’hôtel, je suis allé m’asseoir dans le plus beau café du Mousky. J’y ai vu pour la première fois danser des almées en public. Je voudrais bien mettre un peu la chose en scène ; mais véritablement la décoration ne comporte ni trèfles, ni colonnettes, ni lambris de porcelaine, ni œufs d’autruche suspendus. Ce n’est qu’à Paris que l’on rencontre des cafés si orientaux. Il faut plutôt imaginer une humble boutique carrée, blanchie à la chaux, où pour toute arabesque se répète plusieurs fois l’image peinte d’une pendule posée au milieu d’une prairie entre deux cyprès. Le reste de l’ornementation se compose de miroirs également peints, et qui sont censés se renvoyer l’éclat d’un lustre en bâton de palmier chargé de flacons d’huile où nagent des veilleuses, ce qui est le soir d’un assez bon effet.

Des divans, d’un bois assez dur, qui régnent autour de la pièce, sont bordés de cages en palmiers servant de tabourets pour les pieds des fumeurs, auxquels on distribue de temps en temps les élégantes petites tasses (fines-janes) dont j’ai déjà parlé. C’est là que le fellah en blouse bleue, le Cophte au turban noir ou le Bédouin au manteau rayé prennent place le long du mur, et voient sans surprise et sans ombrage le Franc s’asseoir à leurs côtés. Pour ce dernier, le kahwedji sait bien qu’il faut sucrer la tasse, et la compagnie sourit de cette bizarre préparation. Le fourneau occupe un des coins de la boutique et en est d’ordinaire l’ornement le plus précieux. L’encognure qui le surmonte, garnie de faïence peinte, se découpe en festons et en rocailles, et a quelque chose de l’aspect des poêles allemands. Le foyer est toujours garni d’une mul-