Quant à Jeanne, le poème n’offre sur sa personne aucun détail qui mérite d’être particulièrement noté, quoique l’auteur se soit inspiré surtout des textes du procès de condamnation ; mais il montre quelle était, à son égard, l’opinion du clergé français. Jamais, on peut le dire, les saints les plus vénérés n’ont été traités avec un respect plus grand. L’auteur ne laisse échapper aucune occasion de rapprocher Jeanne, la vierge innocente et pure qui sauve le royaume, et qui se dévoue comme le Christ, de Marie, cette mère immaculée qui sauve le genre humain. La réhabilitation d’un grand peuple par l’immolation d’une jeune fille, d’une hostie guerrière, telle est la pensée qui domine le poème tout entier.
Ainsi, dans le grand mouvement de la renaissance, c’est l’héroïne d’Orléans qui inspire la première de nos épopées nationales, c’est elle qui inspire également l’une de nos plus anciennes tragédies. Elle remplace sur la scène Satan et ses suppôts, inévitables comparses du drame mystique, les empereurs romains et les bourreaux païens ; le 7 septembre 1580, le père Fronton Leduc, jésuite, fait jouer sur le théâtre de Pont-à-Mousson l’Histoire tragique de la Pucelle, nouvellement départie par actes et représentée par personnages, avec chœur des enfans et filles de France, un avant-jeu en vers et des épodes chantées en musique. Le père Fronton, on le voit, n’avait rien épargné pour donner de l’éclat à cette solennité dramatique, ni le chœur, muet depuis Sophocle, ni le prologue du drame moderne, ni le libretto du grand opéra. Charles III, duc de Lorraine, qui assistait à la représentation, en fut tellement satisfait, qu’il fit donner une somme d’argent à l’auteur, afin qu’il s’achetât une robe neuve, « celle qu’il portait, dit le père Lelong, sentant un peu trop la pauvreté évangélique. Cette somme consistait, je crois en six écus ; c’était trop pour le talent du père Leduc, et trop peu pour son patriotisme.
La source tragique une fois ouverte ne pouvait tarir, et le flot continua de couler. Une nouvelle pièce en vers, avec des chœurs, fut représentée en 1606. En 1642, Benserade et l’abbé d’Aubignac donnèrent simultanément deux tragédies en prose sur le même sujet. Orléans et Rouen, les villes du triomphe et du martyre, ouvrirent des concours de distiques, de quatrains, et des érudits, qu’on appelait alors des poètes très célèbres, expédièrent de tous les points de la France des alexandrins et des pentamètres. Heureux encore, dans ce débordement de dactyles ou de rimes, ceux qui, comme Chapelain, ont eu, pour échapper à l’oubli, la triste ressource du ridicule ! Chapelain, cependant, n’avait épargné ni le temps, ni les efforts, ni les habiletés de la stratégie littéraire ; il avait parlé des progrès de son œuvre avant même qu’elle fût commencée, il l’avait retenue long-temps dans une ombre discrète, pour la grandir par l’inconnu, et pendant trente ans ses amis s’étaient chargés d’en populariser le titre. Le digne homme s’était même élevé jusqu’à l’allégorie métaphysique en disposant toute sa matière de telle sorte que la France, dans son poème, représente l’ame de l’homme en guerre avec elle-même ; le roi Charles, la volonté ; les Anglais et les Bourguignons, l’appétit irascible ; Agnès, l’appétit concupiscible ; le comte de Dunois, la vertu qui a ses racines dans la volonté ; Tanneguy, l’entendement qui éclaire la volonté aveugle ; la Pucelle enfin, qui vient assister le monarque contre le Bourguignon et l’Anglais, représente « la grace divine qui, dans l’embarras ou dans l’abattement de toutes les puissances de l’ame, vient raffermir la volonté, soustenir l’entendement, se joindre à la vertu, et, par un effort