Un jour que La Hire et Poton
Le vindrent voir pour festoyement,
N’avoit qu’une queue de mouton
Et deux poulets tant seulement.
Christine de Pisan, comme Martial de Paris, consacra un ditié à la louange de l’héroïne ; mais l’inspiration lui fit également défaut. Les dieux de l’hexamètre païen, exilés par la foi du moyen-âge, venaient à peine de remonter sur les doubles sommets de la montagne poétique, qu’un docteur en théologie, de la faculté de Paris, Valerand de la Varanne, invoquait la muse latine et chantait en dactyles héroïques les actions de Jeanne, vierge française et guerrière intrépide[1]. Au point de vue littéraire, l’œuvre de Valerand de la Varanne, malgré sa médiocrité, offre quelque intérêt, car elle forme la transition de l’épopée chevaleresque et de la chronique rimée aux épopées chrétiennes de la littérature classique. La scène se passe tantôt dans le ciel, tantôt sur la terre. Il y a des songes prophétiques, des prosopopées, des anges qui jouent le même rôle que les confidens dans les tragédies, des discours empruntés aux conciones virgiliens ? Le Christ cite la mythologie, et Charlemagne, transfiguré et canonisé, descend du ciel pour faire au roi Charles VII un cours de morale et de politique. Le grand empereur, dans les vers du théologien, n’est plus ce qu’il était dans la prose rimée des trouvères, un pourfendeur de géans, un galant coureur d’aventures. En homme qui sait par sa propre expérience ce que les maîtresses des princes coûtent aux peuples des monarchies absolues, il recommande à Charles VII la fidélité conjugale. Il se montre même fort libéral, et parle du gouvernement à peu près comme auraient pu le faire les représentans les plus avancés de la bourgeoisie aux états-généraux de Tours. « Entourez-vous, dit-il au roi son successeur, de Lycurgues, c’est-à-dire de légistes qui fassent de bonnes lois :
… Legiferos passim conquire Lycurgos.
Laissez au sénat l’entière liberté de décider les affaires :
… Summa cum libertate senatus
Omnia decernat…
Le sénat, on le devine, c’est le parlement. Il y a là un épisode qui pourrait servir utilement à rédiger le dernier chapitre de l’histoire romanesque de Charlemagne, car le héros y subit une transformation nouvelle et tout-à-fait inattendue. De conquérant qu’il était, il devient prince pacifique ; il déclame contre la manie des conquêtes, et il n’épargne pas les épigrammes aux Français qu’il connaît pour les avoir commandés
Sape peregrinis odium contraxit in oris
Gallica mobilitas, et franci militis atrox
Saevities ; dum victori putat omne licere
Flagitium, stupris inhiat…
- ↑ De gestis Ioannœ egregiœ bellatricis, libri quatuor versu heroico, Parisis, Joannes de Porta. 1516, in-4o. Ce poème a été réimprimé dans le recueil de Ravisius Textor, intitulé De Claris mulieribus, Paris, 1521 et 1529, in-folio.