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inspirée, en donnant de cette opinion trois motifs : 1° les promesses de Jeanne, vérifiées par le succès ; 2° tant de belles actions supérieures à l’âge, à la condition et aux lumières d’une fille de la campagne ; 3° la vertu et l’innocence de cette jeune personne dans une profession aussi licencieuse que celle des armes.

En écoutant dans le silence de la mort tous ces bruits de la terre qui se faisaient autour de son nom, et après les disputes des théologiens, les discussions des érudits, Jeanne aurait pu se croire encore à cette assemblée de Poitiers où, pour la première fois, on cherchait à pénétrer le mystère de sa vie merveilleuse ; mais c’était trop peu sans doute pour expier tant de gloire que le martyre et les calomnies de ceux qu’elle avait vaincus. Les grands esprits du XVIIIe siècle, égarés par le fanatisme de l’incrédulité, devaient livrer sa mémoire à l’inquisition du sarcasme, et jamais, comme l’a dit Étienne Pasquier, jamais mémoire de femme ne fut plus déchirée que la sienne. Pour Voltaire, la Pucelle n’est plus « qu’une malheureuse idiote, » laquelle un moine, nommé frère Richard, apprenait à faire des miracles : hypothèse inadmissible, et qui supposerait encore un prodige, l’enthousiasme dans le mensonge. Ce n’est plus une simple et douce enfant de la campagne, mais une grossière fille d’auberge, que le philosophe vieillit de six ans, comme pour la calomnier jusque dans sa jeunesse et sa beauté. D’Argens et Beaumarchais répètent les outrages du maître, et par ignorance historique, car c’est là la seule excuse qu’on puisse invoquer, ces hommes, qui marchent à la tête de la civilisation moderne, se retrouvent sur le même rang que les bourgeois cabochiens du XVe siècle, qui insultaient la guerrière du haut des murs de Paris en lui décochant leurs flèches. Heureusement pour notre honneur national, cette haine n’était point partagée par tous les écrivains. Lenglet-Dufresnoy publia, d’après le travail de Richer en 1753 et 1754, une Histoire de la Pucelle d’Orléans qui eut une seconde édition en 1755. Villaret mit en œuvre avec un grand soin les matériaux édités ou indiqués par Lenglet-Dufresnoy, et, comme l’a dit M. Daunou, on ne saurait lui contester le mérite d’avoir mûrement étudié et fidèlement retracé tout ce qu’il y a d’essentiel dans l’histoire de l’héroïne du XVe siècle, d’avoir surtout fait briller du plus vif éclat son innocence, ses vertus, son courage et les services éminens qu’elle a rendus à la France. Le travail de M. de Laverdy, qui parut en 1790, et qui remplit 604 pages in-4o, apporta des élémens nouveaux, et acheva de réfuter par des faits précis les déclamations des philosophes abusés. Bientôt la convention, en donnant à Schiller le titre de citoyen français à l’occasion de sa tragédie de Jeanne d’Arc, vengea l’héroïne contre Voltaire lui-même, car la révolution française donnait, par le patriotisme, à la légende de la guerrière de Domrémy une explication plus large. On ne s’étonnait plus qu’une fille sortie de bas lieu eût accompli de si grandes choses ; on ne regardait plus l’héroïsme comme un privilège de caste, et Jeanne avait retrouvé des frères dans ces soldats révolutionnaires, paysans comme elle, qui marchaient à la gloire sans souliers et sans pain.

On le voit, nous sommes loin du temps où Jeanne d’Arc était traitée de sorcière : le nuage fantastique qui l’environne se dissipe avec les siècles ; mais une hypothèse nouvelle va surgir de l’illuminisme matérialiste de Mesmer, et, en 1806, M. Boys fait encore, à propos de Jeanne, une halte dans le domaine du merveilleux. La somnambule a remplacé la sainte ; et cet écrivain s’attache à