à dessein les barrières pour la livrer à l’ennemi, est poignardé dans son sommeil par ordre de sa femme. À ces coups terribles, pouvait-on méconnaître la justice divine ?
Pour la théologie, le problème est désormais résolu : la vie de Jeanne d’Arc est un miracle ; mais le scepticisme du XVe siècle va soulever un problème nouveau, et ce siècle douteur rejettera sur la fourberie des hommes ce que les générations précédentes attribuaient à la fourberie de l’esprit malin. Juste-Lipse compare les entreprises de la Pucelle aux ruses politiques dont l’histoire romaine fait mention. On rappelle Numa, qui voulait se concilier la vénération en feignant des entrevues secrètes avec la nymphe Égérie ; Scipion, qui recevait les conseils de Jupiter Capitolin ; et comme l’esprit ne s’arrête jamais dans le doute, après avoir nié la sincérité de Jeanne, on calomnia sa pureté ; mais les apologistes se lèvent en face des détracteurs. « Quelques-uns des nostres, dit Pasquier, se firent accroire que ce fut une feintise, et j’en ai vu de si impudens et eshontés qui disoient que Baudricour en avoit abusé, et que l’ayant trouvée d’entendement capable, il lui avoit fait jouer cette fourbe. » Pasquier pardonne aux premiers, parce que « le malheur du siècle est tel que, pour acquérir réputation d’habile homme, il faut machiavéliser, » et il ajoute : « Pour le regard des autres, non-seulement je ne leur pardonne pas, mais au contraire ils me semblent dignes d’une punition exemplaire pour estre pires que l’Anglais. » - Un docteur du même temps, Guillaume du Préau, bon Français, quoique théologien, cite l’apologue du chat métamorphosé en femme, dans les fables d’Ésope, pour prouver qu’il était impossible qu’une fille perdue eût pu jouer aussi long-temps le personnage d’une vierge inspirée, devant un roi et aux yeux de toute sa cour, sans se trahir par quelque accident vulgaire. Que les historiens anglais reprochent à Charles VII d’avoir recouvré son royaume par l’œuvre d’une femme, du Préau leur répondra que c’est une honte plus grande encore d’avoir été vaincus par elle, et qu’en admettant même « qu’elle se fust vantée faulsement d’avoir esté envoyée de Dieu… si est-ce toutefois que les tromperies qui se font pour le salut et délivrance du pays ont toujours semblé au jugement humain mériter plutôt louange que punition. » - Guillaume Postel, le visionnaire, ne se contentait pas de réfuter les incrédules qui traitaient de fables les miracles attribués à Jeanne d’Arc ; il voulait qu’on punît de mort ceux qui outrageaient la mémoire de cette fille illustre, ou du moins qu’on les bannît.
Jusque-là on avait discuté sans remonter aux sources historiques ; mais, en 1628, Edmond Richer composa sur les documens alors connus un volume in-folio qui est resté manuscrit, et qu’on peut regarder comme le premier travail vraiment érudit entrepris sur Jeanne d’Arc et le germe déjà très développé de ce qu’on a publié depuis. Dès-lors l’inspiration divine de la Pucelle est acceptée en France comme un fait incontestable, et les historiens, éblouis par le miracle, se montrent plutôt disposés à exagérer le prodige qu’à l’affaiblir. Les Anglais cependant continuent toujours la guerre ; ils discutent, comme Rapin-Thoyras, pour réduire aux simples proportions d’une intrigue politique les entreprises et les exploits de l’héroïne. La réfutation ne se fait pas attendre, et le père Berthier insère dans l’Histoire de l’Église gallicane de Longueval une savante dissertation dans laquelle il s’attache à prouver que la Pucelle était réellement