Français, nation présomptueuse, moins pour les sauver que pour humilier leur orgueil. Thomas, évêque de Lisieux, Martin Beuzine, docteur en théologie, Théodore, auditeur de rote en cour de Rome, concluent dans le même sens, et l’église gallicane se recommande de son nom dans les prières qu’elle adresse à Dieu : « Auteur de toute paix, qui terrasses sans armes et sans attirail de guerre ceux qui blasphèment contre toi, viens à notre aide, nous t’en supplions ; tu as pris pitié de nos malheurs, tu as sauvé ton peuple par la main d’une femme ; donne aujourd’hui au bras du roi Charles une force victorieuse. »
Les légistes défendent la mémoire de Jeanne au nom des lois humaines, comme les théologiens au nom des lois divines. Un avocat au parlement de Paris, Paul Dupont, et l’historien Amelgard établissent dans de savans mémoires l’incompétence des juges et la nullité du procès. Enfin, en 1456, une commission d’évêques, nommée par le pape Calixte III, déclare solennellement, à la suite d’une longue enquête, l’iniquité de la procédure de Rouen. Cent quarante-quatre témoins, hommes et femmes de tous rangs, furent entendus. Ils avaient tous connu l’héroïne, les uns dans son village, les autres à la cour de Charles VII. Parmi les femmes, quelques-unes l’avaient habillée, elles l’avaient vue au bain ; elles avaient partagé son lit, et pour tous, comme le dit M. Michelet, Jeanne avait reçu le don divin de rester enfant. L’histoire suivit ce mouvement de l’opinion publique, et, parmi nos écrivains nationaux du XVe siècle, il en est deux seulement qui ne se sont pas ralliés à l’enthousiasme universel : l’auteur anonyme de la chronique connue sous le nom de Journal d’un bourgeois de Paris, qui appartenait au vieux parti cabochien, et Monstrelet, qui était du parti bourguignon. Ce dernier, en ce qui touche le supplice de Jeanne d’Arc, se borne même à rapporter la lettre missive expédiée au nom du roi d’Angleterre dans toutes les cours d’Europe, pour les informer de l’auto-da-fé de Rouen, et absoudre le duc de Bedford en calomniant la victime. Mais déjà la gloire de Jeanne était adoptée par la chrétienté tout entière. Dès la première moitié du XVe siècle, on promenait son portrait dans toute l’Europe, et les habitans de Ratisbonne payaient 24 deniers pour voir « la représentation de la jeune fille qui avait combattu en France. » Tous les historiens de l’Italie, Carnerio Berni et Jacques de Bergame, entre autres, en parlent avec la plus vive admiration. Les beaux esprits font en son honneur des devises et des emblèmes, et, dans ces allégories qui plaisaient tant au moyen-âge, elle était figurée, tantôt par une abeille sur une ruche couronnée, avec ces mots : Haec virgo regnum mucrone tuetur, tantôt par un peloton de fil posé sur un labyrinthe avec cette devise : Regem eduxit labyrintho ; par une colombe blanche sans fiel, mais généreuse, avec cette légende : Mares haec foemina vincit ; par un phénix brûlant sur un bûcher avec cette ame. Invito funere vivet ; enfin par une main portant une épée avec cet exergue : Concilio confirmata Dei.
Loin de douter de la mission de Jeanne d’Arc, le peuple exagérait la puissance qu’elle avait reçue de Dieu, et comme Lactance, qui vengeait les martyrs par le sombre traité de la Mort des persécuteurs, on montrait la colère du ciel frappant ceux qui l’avaient condamnée ou trahie. L’évêque de Beauvais meurt d’apoplexie en se faisant raser ; son indigne serviteur, Nicolas Midy, pourrit de ladrerie ; Étienne Estivet, qui avait traité Jeanne de paillarde, meurt dans un réduit immonde ; Flavy, gouverneur de Compiègne, qu’on accusait d’avoir fermé