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réfuté en quelque sorte les indications des chroniqueurs. Quant à Perceval de Caigny, il résulte évidemment de son mémoire que Jeanne d’Arc trouva presque toujours le roi rebelle à ses avis, la haute noblesse disposée à l’entraver, et que cette opposition tenait, non pas à la juste défiance qu’elle pouvait inspirer au début, mais à un parti pris, à un système arrêté même dans le conseil de la couronne, système qui ne peut s’expliquer que par la sottise, l’envie ou la trahison. Ainsi, quand après la bataille de Pathay elle se rend auprès du roi pour lui montrer le chemin de Reims, le roi hésite à la suivre ; lorsqu’après la cérémonie du sacre elle lui montre le chemin de Paris pour lui rendre une capitale, ce roi, indigne des prodiges qu’elle vient d’accomplir pour lui, marche sur Sens et ne revient sur Paris que parce qu’il ne peut traverser la Seine à Bray. Lorsqu’après la prise de Senlis elle veut de nouveau tenter un coup de main sur la capitale, le roi s’arrête. Jeanne, qui est allée se loger à Saint-Denis avec l’avant-garde, lui envoie, du 26 août jusqu’au 6 septembre, message sur message pour le prier d’arriver, et ce n’est qu’après quinze jours, sur les instances du duc d’Alençon, qu’il se décide enfin à venir la rejoindre ; mais pendant ces retards les Parisiens ont eu le temps de mettre leur ville en bon état de défense. Jeanne n’en persiste pas moins ; elle a reconnu la place, et, le 8 septembre, elle donne l’assaut à la porte Saint-Honoré. Blessée vers le soir d’un trait à la cuisse, elle exhorte ses gens à continuer l’attaque, lorsque le sire de Gaucourt et quelques autres capitaines envoyés par le roi l’entraînent hors du fossé, la mettent de force sur un cheval, et la ramènent à la Chapelle-Saint-Denis. « Et avoit très grant regret d’elle ainssi soy départir, en disant : Par mon martin (sans doute par mon bâton), la place eust esté prinse. » Le lendemain, dès la pointe du jour, Jeanne était la première levée au camp ; elle excitait les capitaines à recommencer l’attaque ; le sire de Montmorency, qui, la veille, avait combattu pour les Anglais du haut des remparts de Paris, était venu faire sa soumission avec une troupe nombreuse de gentilshommes, et ce renfort redoublait l’enthousiasme. On se préparait à l’assaut avec une entière confiance dans le succès, lorsque le roi envoya chercher la Pucelle par René d’Anjou, en lui ordonnant de ne point combattre. Malgré cet ordre, elle voulait profiter d’un pont établi à la Briche pour se porter sur la rive gauche de la Seine contre le quartier Saint-Germain. Le roi fit rompre le pont, et, deux jours après, il partit avec l’armée pour l’Orléanais. Ce sont là certes des faits précis, et qui justifient le jugement sévère que le vieil annaliste, en terminant sa chronique, porte contre Charles VII[1].

Nous n’insisterons pas sur le détail des faits ; il suffit d’avoir indiqué, d’après Perceval de Caigny et les savantes remarques de M. Quicherat, combien l’histoire a été faussée en ce qui touche les derniers événemens de la vie militaire de Jeanne. Faire sacrer le roi à Reims, délivrer le duc d’Orléans, prisonnier en Angleterre, chasser les Anglais du royaume, tel était le but qu’elle-même avait

  1. « Depuis que le roy s’en vint de la ville de Saint-Denis, il monstra si petit vouloir de soy mectre sus pour conquérir son royaume, que tous ses subjetz, chevaliers et escuyers, et les bonnes villes de son obéissance s’en donnoient très grant merveille. Et sembloit à la pluspart que ses prouchains conseilliers fussent assez de son vouloir, et leur sufisoit de passer temps et vivre, et par espécial depuis la prinse de la Pucelle, par laquelle le roy avoit receu et eu de très grans honneurs et biens dessus desclairés, seuulement par son moyen et bonne entreprinse. Le roy et ses diz conseilliers, depuis laditte prinse, se trouvèrent plus abessiez de bon vouloir que par avant, et tant que nulz d’entre eulx ne scavoient aviser ne trouver autre manière comment le roy peint vivre et demourer en son royaulme, si non par le moyen de trouver appointement avecques le roy d’Engleterre et le duc de Bourgoigne pour demourer en paix. Le roy monstra bien qu’il en avoit très grant vouloir, et ayma mieulx donner ses béritaiges de la couronne et de ses meubles très largement, que soy armer et soutenir les frais de la guerre. » ( Chronique de Perceval de Caigny.)